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Estrie ou Cantons de l’Est ? Votre préférence…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 9 mars 2022      

Ces derniers mois, un débat a cours dans nos milieux. Faut-il oui ou non changer l'appellation actuelle de la région administrative 05 Estrie pour une nouvelle soit Cantons-de-l'Est. Ce débat qui fait présentement l'objet de consultation dans la foulée du rattachement à la grande région de Sherbrooke, appelons là ainsi pour l'instant, des MRC de Brome-Missisquoi et de la Haute-Yamaska qui quittent ainsi la Montérégie. La date d'entrée en vigueur de ce changement de limites territoriales est le 28 juillet 2021. Cela est plutôt heureux pour notre région qui passera ainsi à un territoire plus vaste et plus homogène.

Par ailleurs, cette révision des limites administratives du Québec a été faite en raison du travail de concertation et de développement plus difficile alors que ces deux MRC devaient travailler avec deux régions. En effet, dans certains cas, elles étaient desservies par des directions régionales ou des centres de services gouvernementaux situés en Estrie. La réalisation de certains dossiers devenait alors plus complexe. La nouvelle région ainsi constituée a donc l'occasion de modifier son nom d'origine. Ce qu'a demandé la table des MRC de l'Estrie qui souhaitait voir le nom des Cantons-de-l'Est apparaître plutôt que celui de l'Estrie. Une consultation publique est menée et le débat a commencé faisant voir une population divisée sur la question. Tentative de compréhension d'un débat plutôt inutile.

Cantons-de-l'Est ou Estrie : le débat

À l'origine de ce débat, il y a la volonté des promoteurs du tourisme représenté par Tourisme Cantons-de-l'Est qui véhicule depuis des années la marque Cantons-de-l'Est dans la promotion de la région qu'il dessert. Cela inclut également les deux nouvelles MRC qui se joignent à nous en juin prochain. Il n'est pas étonnant que cet organisme et ses créatures comme Vision attractivité fassent la promotion de l'appellation Cantons-de-l'Est. Selon cet organisme, l'appellation Cantons-de-l'Est fait davantage rêver et elle est plus efficace pour attirer de nouveaux travailleurs. Vision attractivité a commandé une étude de la firme Dialogs pour nous en convaincre. Selon cette étude commandée par Vision attractivité et réalisée par la firme Dialogs en 2019 - avant la pandémie ─, le nom Estrie réfère à la richesse économique alors que le nom Cantons-de-l'Est réfère à la richesse sociale de la région. Aussi, le nom Cantons-de-l'Est génère plus d'émotions et est davantage associé au style de vie et à la qualité de vie. À partir de cette étude, un certain nombre de municipalités et de MRC se sont positionnées pour l'une ou l'autre de ces appellations.

D'autre part, un certain nombre de voix issues de la mouvance nationaliste se sont fait entendre afin de demander de maintenir l'appellation Estrie invoquant le caractère anglophone et colonisateur de l'appellation Cantons-de-l'Est. Par ailleurs, on s'insurge du déséquilibre des forces en présence dans le débat. C'est ce qu'a dénoncé dans un quotidien local le 4 février dernier Etienne-Alexis Boucher, président de la Société nationale de l'Estrie : « Il y a des organisations bien financées et bien structurées qui mobilisent l'ensemble de leurs ressources humaines, organisationnelles et financières afin de promouvoir le changement de nom. C'est un peu à nos yeux un combat à la David contre Goliath où vous avez des gens très bien placés à des positions clés au niveau politique qui promeuvent ce changement-là », ajoute M. Boucher. « On voit que les forces en présence sont déséquilibrées et ça transparait dans la consultation. »

Les nouvelles MRC qui se joignent à nous ont plutôt choisi de ne pas se prononcer sur la question. On aurait pu s'attendre que les nouvelles voix viennent de ces territoires. Mais il n'en fut rien. Nous avons droit donc à un débat entre Estriens sur une marque dont le lobby principal est le monde touristique. La population quant à elle a peu de choses à dire là-dessus surtout au sortir d'une grave crise sanitaire et d'un climat de guerre. Elle a bien raison cette population, car ce débat est plutôt futile. N'empêche qu'il faut rétablir un fait : l'appellation Cantons-de-l'Est n'est pas le reflet de notre soumission au colonialisme anglais.

Un peu d'histoire...

Notre région s'est lentement peuplée sous l'impulsion d'une émigration forcée provenant de la Grande-Bretagne. Ce fait nous est confirmé par un membre de l'escorte de Lord Durham venu enquêter au Bas-Canada au lendemain des troubles de 1837-1838 appelée la rébellion des patriotes. Edward Gibbon Wakefield écrira en 1830 que les buts de la colonisation systématique sont, pour La Grande-Bretagne, de soulager les pauvres du royaume ─ par leur émigration forcée ─ et de résoudre le problème de peuplement et de développement des colonies. Voulant aussi réduire le fait français au Canada du temps, la Couronne britannique a vendu chez nous au profit de grands propriétaires britanniques comme la British American Land Company des terres non cultivées situées près de la frontière américaine dans ce que l'on a alors appelé les Eastern Townships, cela s'est accentué avec la venue des loyalistes britanniques dans la foulée de la révolution américaine.

Comme l'écrit Micheline Cambron, cela est venu confirmer la définition britannique de la colonisation : « laquelle entre en conflit avec le modèle narratif de la fondation qui avait dominé sous le régime français ? Le choc est d'autant plus grand que les vieilles paroisses, structurées à partir des seigneuries, ne suffisent plus à absorber la population française, dont la croissance démographique est forte. L'anglicisation des villes et une première phase d'industrialisation effraient et, par ailleurs, l'émigration vers les États-Unis prive le Bas-Canada d'une partie de sa population et de certaines ressources financières » (Micheline Cambron, « Colonisation, trois récits sans futur » dans Anne Caumartin et coll., Je me souviens, J'imagine Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2021, p, 55) Etienne-Alexis Boucher n'a pas tort donc de lier l'appellation Eastern Townships à la colonisation britannique. Un point pour son argumentaire. Mais il a tort de faire croire que Cantons-de-l'Est est la traduction de Eastern Townships. Expliquons cela.

Une grande enquête est commandée par l'Assemblée législative en 1849 et on identifie alors quatre grandes régions propices à la colonisation pour les Canadiens français, dont les Eastern Towships de l'Est. Les réactions sont vives, le parlement s'émeut. Un appel est lancé par 132 curés missionnaires en faveur de la colonisation des Townships de l'Est dans un texte intitulé : Le Canadien émigrant, Pourquoi le Canadien-français quitte-t-il le Bas-Canada ? C'est dans ce contexte que paraît en 1862 le roman d'Antoine-Guérin Lajoie intitulé Jean Rivard, le défricheur. C'est dans ce roman très canadien-français qu'apparaît pour la première fois l'appellation « Cantons-de-l'Est » celle-ci n'est donc pas la traduction d'Eastern Townships, mais l'adaptation libre de cette expression par l'un de nos premiers romanciers. On a donc tort de lier cette appellation à une vulgaire traduction de Eastern Townships.

Alors on choisit quoi ?

Replacer les termes du débat n'est pas une position. Je dois vous dire que moi ça ne me fait ni chaud ni froid que l'on retienne une appellation ou une autre. À bien y penser, ma préférence va à l'appellation Estrie puisque j'écris dans un média qui s'appelle EstriePlus. Je n'aimerais pas écrire dans Cantons-de-l'Est Plus. Mais là n'est pas le débat. Le vrai débat c'est le pouvoir que l'on donne ou pas aux régions et cela m'intéresse beaucoup plus. Alors vous, votre préférence Estrie ou Cantons-de-l'Est ?


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