Chaque jour, comme lecteur ou téléspectateur, nous sommes assaillis par des centaines de faits, par des milliers d'arguments et par des discours opposés sur ces mêmes faits. Les médias sont là pour nous aider à mieux comprendre ou encore pour « jouer à l'arbitre » dans les débats qui secouent l'espace public et qui forment l'opinion publique.
Ce qui est vrai aujourd'hui l'a aussi été hier. Seuls les médias, tant en nombre qu'en type, et leurs façons de couvrir l'événement ont changé. Pour le reste, on peut affirmer que l'agora publique a toujours été un lieu de débats et de combat d'idées. Dans ce combat d'idées entre le Québec français et le Canada anglais, la Société Radio-Canada et ses artisans ont joué un rôle de référence exemplaire et ses productions culturelles, sportives, scientifiques et d'information ont largement contribué à façonner notre identité. Ce que nous sommes aujourd'hui comme peuple comme nation est largement attribuable au rôle incontournable de la Société Radio-Canada. Nous avons besoin dans nos vies d'un radiodiffuseur public libre et indépendant. Nous avons besoin d'une Société Radio-Canada libre de tous intérêts pour nous informer. Il faut dire non au démantèlement de Radio-Canada...
Les Amis de Radio-Canada en Estrie
Avec mon regretté collègue Yves Bellavance et le syndicaliste Jean Lacharité de la CSN et le journaliste Pierre Tousignant de Radio-Canada, nous avons eu l'idée, un soir où nous prenions une bière ensemble au Loubards, de mettre sur pied un regroupement de gens pour nous opposer aux compressions à Radio-Canada. Même si Yves Bellavance était critique par rapport à la lourdeur de l'appareil de Radio-Canada, lui qui venait du secteur privé TVA et avant CKAC, il était inquiet par rapport à l'ampleur des compressions à Radio-Canada et nous avons décidé de nous y opposer en créant un regroupement de gens influents de notre région pour nous opposer à cette volonté de la direction de Radio-Canada et à ses orientations.
Le texte d'appel de l'époque qui fut publié dans La Tribune rappelait le caractère incontournable de Radio-Canada dans nos vies, dénonçait l'ampleur des coupes budgétaires, regrettait la disparition de certaines émissions de radio comme Macadam Tribu animée par Jacques Bertrand et plaidait aussi pour une refonte des orientations de la programmation de la Société Radio-Canada. Nous trouvions à l'époque que Radio-Canada avait pris un virage trop commercial et s'était éloignée de sa mission fondamentale de l'information et de la culture. Nous n'avions pas trop insisté sur cet aspect, mais cela était important pour plusieurs signataires de l'appel que nous avions lancé pour la mobilisation. Quelques années plus tard, les Amis de Radio-Canada ont connu une seconde naissance selon l'impulsion de nouveaux militants comme Sylvie Bergeron et Jacques Raby et la nécessité de revoir les orientations fondamentales de la programmation de Radio-Canada est plus que jamais à l'ordre du jour.
Des arguments simples pour défendre Radio-Canada :
Ce weekend, nous avons appris la mort de Picolo, icône télévisée d'émissions d'enfants de Radio-Canada, personnifié par le comédien Paul Buissonneau. Monsieur Buissonneau était un monument de la culture québécoise. Très présent dans le monde du théâtre et de la télévision, il a eu une grande influence sur beaucoup de vies au Québec. Cela était possible au temps où Radio-Canada avait une vocation culturelle forte. Ce n'est plus aussi vrai aujourd'hui.
Ce qui vaut pour les émissions d'enfants est aussi pertinent pour les émissions sportives où l'émission Les Héros du samedi nous permettait de découvrir le sport amateur et plusieurs disciplines. Nous avions aussi des émissions culturelles qui nous permettaient de découvrir les livres, les spectacles, le théâtre, la poésie et la littérature. L'émission Les Beaux Dimanches nous permettait collectivement d'être en contact avec la grande culture du théâtre de Tchékov, de la musique classique, de la danse contemporaine ou de la parole québécoise émergente dans les œuvres de Michel Tremblay.
Ces jours-ci, les défenseurs de Radio-Canada demandent un financement stable et à long terme et aussi un débat public sur l'avenir de Radio-Canada. Comme argument, on nous dit et c'est vrai que nous payons très peu par jour pour un réseau de radio et de télé public. Il faut cependant aller plus loin et refonder Radio-Canada sur ses bases historiques. Il faut que la Société Radio-Canada redevienne un lieu d'information et de culture et que l'on délaisse les productions d'émission qui font la joie des annonceurs et des cotes d'écoute. Sans vouloir opposer culture de masse à culture d'élite, il faut que la Société Radio-Canada prenne un virage culturel et que cette société redevienne une référence forte dans nos vies plutôt que de s'enfoncer dans le rôle d'un marchand de plus dans le domaine de la radiodiffusion, de la télédiffusion et de la webdiffusion.
Se battre pour Radio-Canada
À notre époque, les modèles d'affaires des médias traditionnels, que ce soit ceux de l'imprimé de la radio ou de la télé, vieillissent mal. On doit les réinventer, car les lecteurs, les auditeurs ou les spectateurs ont aujourd'hui mille et une façons de prendre connaissance des contenus culturels produits. Cela a aussi révolutionné ou est en train de le faire, le monde du cinéma et du disque. Cet argument de la nécessité de transformer Radio-Canada que nous communique son président Hubert Lacroix n'est pas sans fondements.
Néanmoins, la défense que déploie monsieur Lacroix de notre bien public laisse à désirer. Il baisse les bras trop rapidement. Il n'est pas assez énergique auprès du gouvernement Harper. Comme l'a écrit et démontré le journaliste Alain Saulnier dans un livre récent, monsieur Lacroix n'a pas de distance suffisante avec le gouvernement Harper et surtout il est en train de démanteler Radio-Canada en l'éloignant de sa mission première pour en faire un vulgaire marchand des ondes comme les autres. C'est la stratégie du démantèlement par l'étouffement de l'identité propre de Radio-Canada. Pourquoi payer pour un service public qui ressemble à s'y méprendre à ce qu'offre le secteur privé?
En prime, la mise en commun des réseaux anglais et français amplifie ce mouvement d'étouffement et de démantèlement de Radio-Canada. Il faut le dire haut et fort, CBC n'a pas le succès auprès des Canadiens anglais que Radio-Canada a auprès du public québécois. Il faut dire non au démantèlement de Radio-Canada et à son inféodation à CBC!
En cette ère de néo-libéralisme à outrance et de bouleversements, nous devons avoir des références fiables et solides dans nos vies pour nous aider à comprendre le monde et à l'interpréter. Nous avons besoin d'un lieu de confiance où nous forger un monde. Un monde de confiance où nous sommes convaincus que la vérité a ses droits...