Dans les thèses qu'il a écrites sur Feuerbach, la XIe,
le philosophe allemand Karl Marx disait : « jusqu'à maintenant, les
philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui
importe c'est de le transformer. » S'il y a quelque chose d'universel à toutes
les générations, c'est bien cette idée d'appel à l'action pour améliorer les
choses. Toutes les générations ont ce projet chevillé au cœur. Il n'a pas
qu'une façon pour parvenir à améliorer le monde dans lequel nous vivons.
De nombreux chemins s'offrent à nous. Certains permettent
d'entrevoir des voies ensoleillées, d'autres ressemblent à des culs-de-sac.
L'important pour la jeunesse c'est que l'espoir ne cède jamais devant la
désillusion. Il faut toujours garder l'espoir, mais il faut aussi se défaire de
nos illusions. C'est ce qu'avait dit un jour l'ancien premier ministre du
Québec, René Lévesque : « Le défi c'est de perdre ses illusions tout en
conservant l'espoir. » Réfléchissons à cela ensemble à partir de trois destins différents...
Trois itinéraires distincts...
Le décès prématuré de Karl Tremblay, l'icône des Cowboys Fringants
et la lecture de la biographie de madame Louise Harel et de l'autobiographie de
madame Catherine Dorion sont le prétexte à ma réflexion de ce matin.
Karl Tremblay et
les Cowboys fringants
Comme tout le monde, la disparition
prématurée de monsieur Karl Tremblay a assombri ma dernière semaine. J'écrivais
à ma fille qui est de cette génération que cela devait beaucoup la toucher. Il
est rare que des membres de la génération y voient disparaître des icônes de la
génération X qui font partie de leur repère culturel. Cela dit, les Cowboys Fringants
par leur musicalité festive, par leurs textes engagés et par leur longévité ont
réussi en durant à devenir quasi universels pour toutes les générations au
Québec. Les textes, la musique, la voix douce de Karl Tremblay font partie
aujourd'hui de l'ADN du Québec et ils ont aussi réussi à exporter cet ADN dans
l'ensemble de la francophonie dans le monde. Le départ de Karl Tremblay est en
ce sens une lourde perte pour le Québec tout entier. À cet égard, je suis
d'avis que la proposition du premier ministre Legault d'offrir des funérailles
nationales à Karl Tremblay, ce troubadour du Québec contemporain, est
pleinement justifiée. La famille choisira alors ce qu'elle souhaite.
Les Cowboys Fringants se sont pleinement inscrits dans la
mouvance universelle de transformer le monde dans lequel ils vivaient en le
chantant et en le célébrant. Avec une modestie sans pareille, Karl Tremblay et
ses comparses ont chanté nos espoirs, nos désespoirs et nos rêves comme peu
d'autres interprètes. C'est pourquoi le départ prématuré de Karl Tremblay est
si vivement ressenti par tous. Il nous reste à espérer que celles et ceux qui
restent choisiront de poursuivre à interpréter notre monde afin de l'améliorer.
Même si les manifestations ne changent rien comme le dit l'une de leurs
chansons, il n'en demeure pas moins que leur prestation nous fait du bien et
nous aide dans nos volontés d'améliorer le monde dans lequel nous vivons. La
trajectoire de Karl Temblay et des Cowboys Fringants est tout à fait réussie.
L'iconoclaste punk...
Catherine Dorion
Celle de Catherine Dorion est plutôt un
échec. La diva de la gauche, la punkette de service, Catherine Dorion a publié
ces derniers jours aux éditions Lux, Les
Têtes brûlées, carnets d'espoir punk. Un livre que j'ai lu cette dernière
semaine pour pouvoir le commenter intelligemment sans me faire le porte-voix de
la détestation de madame Dorion. J'ai été amèrement déçu de son récit. En fait,
celles et ceux qui disent que pour l'ex-député de Taschereau tout tourne autour
de Catherine Dorion ont raison. Ce livre qui relate son expérience en politique
est en fait le récit du ressenti de madame Dorion qui a pour centre le je, me,
moi. Bien sûr, il y a de forts passages où elle dépeint Gabriel Nadeau-Dubois
comme un mâle dominateur et manipulateur. Je n'ai pas de sympathies
particulières pour Gabriel Nadeau-Dubois (nous ne sommes pas parents...) ni pour
Québec solidaire, mais je trouve que les charges de Catherine Dorion contre
Québec solidaire ou ses co-porte-parole Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois
sont improductives.
|banniere-article|
Le récit de madame Dorion aurait pu s'intituler : « Récit de l'expérience de Catherine Dorion,
député non pas de Québec solidaire, mais de Québec solitaire ». En somme,
madame Dorion nous livre le témoignage excentrique d'une femme perdue en
politique. Le débat qu'elle mène sans le nommer est celui qui confronte
l'action réformiste à l'action révolutionnaire. Un vieux débat de la gauche
qu'elle ne sait pas nommer dans son livre. Une trajectoire décevante de madame
Dorion. Elle voulait changer le monde, mais elle ne l'a que distrait. Le
meilleur résumé que nous pourrions faire du témoignage de madame Dorion nous
vient de l'un de ses ex-collaborateurs, Phillippe Bouliane qui sur le réseau X
écrit en la comparant à madame Manon
Massé : « Au département des marginaux au
parlement, elle a réussi là où Catherine a échoué. Le centre de gravité de
l'action politique de Catherine, c'est elle-même. Celui de Manon, c'est les
autres. » Je le crois sur parole.
La rebelle : madame Louise Harel
Dans un tout autre registre, on peut aussi
regarder la trajectoire de madame Louise Harel qui a été un pilier du Parti québécois
durant de nombreuses années. La voix discordante du Montréal-centre,
l'éternelle opposante de René Lévesque alors qu'il était un prince incontesté,
la femme allergique aux compromis, mais qui a réussi à en faire avec des
adversaires comme madame Monique Gagnon-Tremblay, ministre libérale de la
condition féminine sous le gouvernement de Robert Bourassa, pour faire adopter
la Loi sur le patrimoine familial. Louise Harel était une leader étudiante au
temps de l'Union générale des étudiants du Québec. Elle fut aussi une
inlassable combattante pour ses électrices et ses électeurs du comté de
Maisonneuve pour lesquels elle avait une loyauté sans faille.
Madame Harel s'est distinguée par sa force de conviction et
son ardeur au travail. Elle a mené à bien la fusion des municipalités, dossier
éminemment complexe sous le gouvernement de Lucien Bouchard avant de se
retrouver sur la scène politique municipale à Montréal. Louise Harel apparaît
dans la biographie qu'a écrite Philippe Schnobb, aux éditions La Presse, il y a
quelques semaines, comme « une femme complexe qui a su survivre... à force de conviction. »
(Philippe Schnobb, Louise Harel. Sans
compromis, Montréal, Éditions La Presse, 2023, 377 p.)
Une trajectoire plutôt réussie pour madame Louise Harel qui
a su comme rebelle transformer le monde dans lequel elle a vécu.
Transformer ou interpréter le monde...
La phrase de Karl Marx tiré de sa critique sur les thèses de
Feuerbach était la question de l'examen de mon cours de sociologie au Collège
de Sherbrooke que j'avais suivi avec le professeur Jacques Gagnon. À cette
époque, ma réponse était teintée d'un idéalisme qui vu d'aujourd'hui est
attendrissant. Du haut de mon expérience et de mon âge, j'estime aujourd'hui
que ma volonté de changer le monde n'a pas été aussi concluante que j'aurais
voulu l'imaginer à mes 20 ans. À l'image de ce que souhaite la jeunesse
aujourd'hui, j'estime avoir apporté ma contribution pour améliorer le monde
dans lequel je vis. J'ai perdu certes des illusions, mais conservé
l'essentiel : l'espoir d'un monde meilleur. Néanmoins, force est de
reconnaître que changer le monde c'est aussi accepter d'être transformé par
lui... Pour le meilleur ou pour le pire...