Des fois, j'imagine des choses. Du genre que je participe à
une sorte d'atelier de dessin. L'animateur me lance un défi qu'il me faut
rendre sur papier, mais avec pas de mots (!)...
« Dessine-moi ta société! »
J'hésite. Je fais un premier bonhomme (non genré, n'ayez
crainte!). Il est dans une bulle. Attachée à sa bulle, une autre. Un peu plus
grande. C'est sa famille. Puis une autre, indépendante de celle de la famille,
mais qui est collée sur la sienne : les amis. Et ainsi de suite.
Dans ma tête, le centre de mon dessin est la bulle d'une
personne. Et son entourage ensuite. Et ce modèle se multiplie. Une bulle
personnelle autour de laquelle gravitent et se collent d'autres bulles.
Je voudrais bien dessiner d'abord une grande bulle
représentant ma société et ensuite l'arborescence des personnes qui la
composent, mais ça ne colle pas à la réalité que je vois.
Tout est résolument ramené à l'individu. Individu comme dans
individuel. À l'expression de ses besoins (ou de ce qu'il croit être des
besoins).
L'image la plus forte pour décrire ce que je ressens est
celle du commerce qui s'est converti à une offre personnalisée et taillée sur
mesure sur les besoins (ou caprices?) d'un individu qui peut magasiner à
distance, quand il le souhaite, et se faire livrer des trucs, un à la fois, le
plus rapidement possible.
Le top du top!
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Et pendant ce temps, dans une galaxie près de chez-nous...
« N'entre pas dans ma bulle! » « N'entre pas
dans mon univers! »
Notre univers individuel est important. J'en conviens.
L'équilibre personnel, les relations avec des proches qui nous sont chers,
notre modèle de vie, notre travail, tout ça est très important. Comprenez-moi
bien.
Mais il faut absolument trouver une façon de regarder avec
ouverture et empathie ce qui se passe hors de notre univers immédiat.
Parce que là, juste à côté, dans une galaxie près de chez-nous,
collée sur notre petit univers, il y a des gens qui en arrachent.
Vous saviez qu'un enfant sur cinq souffre du phénomène de
l'insécurité alimentaire (source Institut de recherche et d'informations
socioéconomiques - IRIS).
Ce n'est pas dans un pays d'Afrique ou ailleurs. C'est ici.
À côté. Au Québec. À Sherbrooke.
Un enfant qui ne mange pas correctement manque du carburant
nécessaire à sa saine croissance et à son apprentissage. C'est grave. Non
seulement on ne naît pas tous égaux, mais voilà qu'un enfant sur cinq prend une
sérieuse hypothèque sur son avenir alors qu'il ne connaît même pas la
signification du mot avenir. Encore moins du mot hypothèque.
Dans l'État du Maine, aux États-Unis, des écoles ont décidé
de régler la situation. Évidemment, c'est un État démocrate, mais toujours
est-il que le système d'éducation public inclut maintenant deux repas complets
par jour. Pour tout le monde. Déjeuner et dîner.
Pourquoi tout le monde?
Pour deux raisons majeures : d'abord, pour ne pas créer
de malaises entre ceux qui ont les moyens de manger et les autres, puis, et ce
n'est pas anecdotique, parce que même les plus aisés ont des carences de
qualité de bouffe.
J'y vois une expression de solidarité exceptionnelle. Et non
de la charité.
La charité aurait donné un coup de main (précieux, quand
même) aux jeunes qui répondent à des critères. Et qui se retrouveraient portant
l'étiquette de ces critères ensuite. Pas aidant, pour commencer un circuit
d'apprentissage scolaire.
La solidarité, c'est le fait d'identifier clairement
l'importance d'une quantité et d'une qualité d'aliments pour nourrir la
croissance et l'apprentissage d'un enfant. Ensuite, c'est de mettre les
ressources en commun pour en arriver à créer quelque chose d'accessible à tous.
Une directrice d'école déclarait que dans plusieurs cas, des
enfants ne comptent, quelques jours par semaine, que sur ces deux repas
complets pour « nourrir » leur journée.
Les banques alimentaires sont hyperactives au Québec. Et elles
le sont de plus en plus. C'est nécessaire.
Mais quand le système économique tend à exclure de plus en
plus de personnes, il est temps qu'on applique des règles de solidarité. Un
système de repas à l'école n'est pas une lubie. Aujourd'hui, c'est un enfant
sur cinq qui souffre de la situation d'insécurité alimentaire. Ce sera
probablement plus dans cinq, dix ans.
Une société qui ne saurait miser sur son avenir (ses
enfants) est une société qui ne comprend pas qu'elle est bien plus qu'un
regroupement « d'individus individuels ».
Qui ne comprend qu'une société qui ignore ses enfants est
une société qui nie sa propre dynamique.
Qui se condamne elle-même à l'éclatement.
Clin d'oeil de la semaine
Difficile de faire le plein avec une grande quantité de
calories vides...