Le
mois dernier, Ernest
Lacharité était occupé à ferrer les chevaux. Ce mois-ci, nous le
retrouvons, quelque 20 ans plus tard, grâce à cette photographie qui nous
apprend qu'il est passé de la manipulation des sabots à la réparation de
moteurs! Maintenant garagiste, Ernest Lacharité (groupe central devant la porte
d'arche, dernier à droite) pose avec ses collègues devant le garage O'Donnell
& Morissette, situé au 21 de la rue Wellington Sud. La compagnie O'Donnell
& Morissette Ltd est incorporée le 19 mars 1920, mais est en fonction
depuis quelques années déjà. Elle fait le commerce d'automobiles luxueuses, telles
la Studebaker, la Gray-Dort ou encore la Maxwell, vendue en
1916 au coût de 850 $ en (l'équivalent de 18 164 $ aujourd'hui). Également
établie à Thetford Mines,
O'Donnell & Morissette s'assure d'une présence remarquée dans les journaux
avec des publicités de tout genre, des petites annonces aux grandes publicités avec images.
De la forge au garage : une
transition étonnante, mais vraie! Au Québec, de nombreuses forges
sont reconverties en garage automobile. L'intérêt est multiple : l'espace
de la forge est idéal pour accueillir des automobiles et travailler convenablement ;
les portes à battants sont parfaites pour les allées et venues des voitures ; les
outils sont similaires pour le travail de forge et de carrosserie ; enfin, les connaissances acquises dans la forge s'adaptent
fort bien aux réparations et aux assemblages d'automobiles. À titre comparatif,
en
1907, alors qu'Ernest Lacharité fonde sa forge, Sherbrooke compte seulement 10 propriétaires
d'automobiles ; en 1928, la ville en compte 2201! Ainsi, jusqu'en 1930,
Sherbrooke occupe régulièrement le troisième rang des villes du Québec pour le
nombre de véhicules enregistrés.
Au
début du xxe siècle,
le partage de la route entre les chevaux et les voitures n'est pas sans danger.
Des accidents regrettables sont courants, comme celui-ci
rapporté dans La Tribune le 16 octobre 1928,
alors qu'un certain Léo Vallière succombe à ses blessures après qu'un cheval a
pris peur et s'est jeté sur son auto : « Léo Vallière, allant en
auto à St-Évariste, hier soir, vers 6 heures, rencontra deux voitures et
le cheval de la deuxième voiture ayant eu peur alla se jeter sur l'auto.
Vallière reçut des blessures mortelles à la tête. » Pourtant, dès 1906, le
gouvernement avait instauré une loi qui reste valide jusque dans les années 1950 :
à la rencontre d'un cheval, l'automobiliste doit ralentir, voire arrêter le
moteur.
En
1918-1919, le gouvernement libéral de Lomer Gouin prévoit l'aménagement d'un
réseau routier plus adapté. Avec de nombreuses routes provinciales passant près
de Sherbrooke, la ville devient rapidement un carrefour touristique important. À
l'été 1927, c'est pas moins de 10 000 touristes américains qui
s'y arrêtent!
L'engouement pour les automobiles atteint
également la gent féminine et l'industrie automobile reconnaît rapidement cet
intérêt. Sur la photographie, trois femmes sont à bord du véhicule, conduit par
un homme. Cette mise en scène photographique rappelle que la voiture, objet de
modernité et d'affirmation, est également un vecteur de changement pour les
femmes des années 1920. L'automobile est ainsi synonyme de liberté et de
loisir, ce que les dames semblent assumer pleinement sur la photographie.
L'édifice
autrefois occupé par le garage O'Donnell & Morissette accueille aujourd'hui
le magasin de l'Armée du Salut (partie gauche et centrale) et un salon de
tatouage, le 116 tattoo (partie droite).
Sources :
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