Il fait beau. Première semaine de décembre 2023. La neige
est tombée abondamment la veille. Les arbres sont magnifiquement encombrés et
endimanchés d'une neige lourde et étincelante, encouragée en ce sens par les
rayons insistants du soleil. La lumière est pure, le ciel bleu.
Dans le bois Beckett de Sherbrooke, je marche dans une carte
postale.
J'ai l'idée de me fabriquer plein de fonds d'écran pour
l'ordinateur et le téléphone. Je marche lentement. Nonchalamment, parfois. Je
goûte. Je respire.
Et je capte certaines images de soleil se frayant un chemin
à travers ce petit paradis de neige.
Je vois bien devant.
La notion de temps se moque de moi. Elle me joue des tours.
Loin de la frénésie du quotidien du bureau et des rendez-vous, je réalise
qu'une heure peut être longue. Qu'elle peut moins fuir, comme je le ressens trop
souvent.
J'ai un sourire en coin, avec un sentiment d'avoir gagné
quelque chose!
Je vois bien devant moi.
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Ce que je ne vois pas, c'est ce qui est derrière moi.
Non, non, pas une bête qui me traque ou autre scénario de
film plus ou moins poche qui te rappelle que les dangers sont partout!
Ce que je ne vois pas, ce sont les traces que j'ai laissées
dans cette neige d'hiver. Des traces qui sont tout sauf en droite ligne.
Et je me dis que quelqu'un qui les verrait le lendemain
pourrait interpréter ces traces à sa façon.
« Le gars cherchait quelque chose, sûrement... »;
« peut-être cherchait-il un endroit sûr pour cacher quelque chose? »;
« il n'était pas à jeun, c'est clair! »
Le spectre des interprétations est hyper large.
Et notre esprit est devenu plus méfiant.
Comme vous, je suis sûr, je connais des scénaristes de
catastrophe capables de prendre n'importe quel petit événement et qui,
avant même de vérifier de quoi il s'agit, sont capables de fabriquer une
dizaine de scénarios. Et chacun des scénarios doit battre le précédent en gravité!
Pourtant, généralement, il n'y a pas grand-chose là-dedans!
Des fois, c'est un malentendu, mais plus souvent, c'est une
situation complètement bénigne qui noie le scénario, mais laisse bien en vie le
scénariste qui récidivera à coup sûr!
Se méfier de la méfiance
La semaine dernière, je parlais de confiance.
Et j'ai réalisé, en cours de semaine, que la méfiance s'installe
mieux que la confiance.
Il faut quand même se méfier de la méfiance! Ça peut devenir
un puissant piège.
C'est comme si, après des décennies à verrouiller nos portes
à double tour, réfugiés dans le confort de notre foyer, on se créait le fameux
espace sûr (safe space) dont plusieurs rêvent.
Le hic, c'est que l'espace est relativement sûr uniquement
quand on est embarrés, coupant ainsi tout contact avec la société. Et comme on
est bien dans ce type de sécurité, on finit par trouver différentes façons de
nous isoler encore plus.
Pourquoi aller au cinéma, aller magasiner, aller faire de l'exercice
dehors, prendre un verre avec des amis dans un pub, alors qu'on peut tout faire
ça dans un espace sûr?
Dans le confort de notre foyer...
Ce qu'on ne voit pas, cela dit, ce sont les traces que ce
comportement laisse derrière nous. Comme la méfiance envers tout et n'importe
quoi, au nom de l'espace sûr qu'on cherche tant. Ou l'anxiété qui se développe
quand on sait qu'on devra sortir du cocon.
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Une élémentaire prudence est de mise, bien sûr.
Mais il faut quand même se méfier de la méfiance organisée,
omniprésente et paralysante.
Vous savez, cette paralysie qui s'installe sans qu'on ne
s'en aperçoive?
Plutôt que d'aller marcher au bois Beckett, ce fameux mardi
de décembre, j'aurais pu trouver des images lumineuses dans Internet et les
projeter sur une grande télé qu'on dit intelligente et me dire que c'est donc
beau.
Dans le confort de mon foyer, je me serais fait croire que
le fait de regarder ces images me fait vraiment du bien.
Pourtant...
Clin d'œil de la semaine
Le paysage magique de mon fond d'écran d'ordinateur ne
devrait pas simplement me contenter. Il devrait être un puissant levier pour me
commander de déverrouiller et de sortir!