Si vous êtes comme moi des férus de l'actualité
politique, vous ne manquerez pas de vous intéresser à un nouvel ouvrage tout
juste publié sous la direction des universitaires Mireille Lalancette et
Frédérick Bastien (le politologue pas l'historien décédé prématurément...)
intitulé : Médiatisation de la politique. Logiques et pratiques aux
Presses de l'Université du Québec en 2024.
Un manuel de science politique comme il s'en fait
rarement puisque la notion de médiatisation politique est rarement utilisée en
science politique et en langue française. Ce concept est plutôt en vogue dans
les ouvrages de langue anglaise ou encore dans les recherches européennes en
science de l'information et en journalisme. J'ai croisé ces préoccupations dans
le cadre de mes propres recherches encore en cours sur l'opinion publique et la
crise de l'accord du lac Meech. Trêve de propos oiseux universitaires, venons-en
à l'intérêt de ce livre eu égard à l'actualité politique.
Si vous avez suivi l'actualité cette dernière
semaine, vous ne pouvez pas avoir échappé à cette nouvelle largement commentée
que selon le dernier sondage de la firme Léger, s'il y avait des élections au
Québec aujourd'hui, le gouvernement de la CAQ de François Legault serait
largement défait, décapité et remplacé par un gouvernement du Parti québécois
dirigé par Paul St-Pierre Plamondon. Les commentateurs se sont fait une joie d'interpréter
la nouvelle et d'y aller de leurs prédictions et les journalistes ont même
tenté de savoir si cette nouvelle fabriquée de toutes pièces par les médias et
les maisons de sondage amenait le premier ministre actuel à songer à quitter la
politique. Au risque de reprendre une expression largement utilisée, cette
nouvelle est une vraie fake news. Une fausse nouvelle même si celle-ci
repose sur des faits vérifiables. Comment cela est-il possible ? La réponse :
cela est rendu imaginable grâce aux théories de cadrage des médias.
Permettez-moi de clarifier cela.
Les techniques de cadrage des médias
Derrière les grandes valeurs d'objectivité des
médias, en dépit de l'indépendance des journalistes et de la présence de codes
d'éthiques, il est de plus en plus répandu que les médias interviennent dans la
fabrication de l'opinion publique en se servant du véhicule de la médiatisation
de la politique. Ce concept fait référence à un processus structuré autour de
quatre axes principaux soit : l'information des citoyens concernant la
politique, le degré d'autonomie des médias par rapport au pouvoir politique, le
poids des logiques médiatiques et politiques dans le contenu des médias et dans
les pratiques politiques. Le livre publié sous la direction de Mireille
Lalancette et Frédérick Bastien auquel j'ai fait allusion au début de cette
chronique fait le point sur cette question pour le Québec et le Canada par 14 chapitres
d'auteurs différents. Chaque chapitre traite de l'un des aspects de la
médiatisation politique et fait suivre les propos de l'auteur par des questions
et une bibliographie à l'avenant. Pour reprendre les mots de Fabienne Greffet
qui rédige la préface, ce livre offre « une vision panoramique des implications
de la médiatisation de la politique pour les acteurs politiques et ceux de
l'écosystème informationnel, ainsi que pour les pratiques citoyennes et les
répertoires d'action. Les points de vue sont toujours nuancés, mais les
contributions montrent très bien à quel point les organisations, les acteurs et
les stratégies politiques sont bousculés, et les rôles redéfinis dans un ordre
médiatique hybride de plus en plus indexés à la présence des plateformes
numériques. Les implantations locales des partis politiques et les militants tendent
à disparaître, au profit de foules numériques plus difficiles à fidéliser et à
mobiliser sur le terrain. Les groupes d'intérêts sont amenés à davantage
publiciser leur action et à s'adresser aux citoyens via les espaces numériques,
plutôt que d'interagir quasi-exclusivement avec des dirigeants politiques
eux-mêmes concurrencés dans leur capacité à définir des perspectives partagées. »
(Mireille Lalancette et Frédérick Bastien, Médiatisation politique. Logiques
et pratiques, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2024, p. IX)
Le
triomphe de la logique médiatique dans l'espace public
En fait, pour qui sait lire avec perspicacité, ce
livre nous invite à voir l'envers du décor de notre vie politique et de
l'exercice de la démocratie au Québec et au Canada. Pour l'un des auteurs de ce
livre, la cause est entendue : « Le degré auquel la logique médiatique,
plutôt que politique, gouverne non seulement les contenus médiatiques, mais
également les actions des acteurs et des institutions politiques. Les théories
de cadrage suggèrent la manière dont les acteurs politiques et médiatiques
présentent les différents enjeux sociaux influence l'interprétation que s'en
font les citoyens. » (Lalancette et Bastien, op.cit.)
Quand on étudie les pratiques de cadrage des
médias, on peut mieux comprendre comment les choses fonctionnent et comment le
système actuel politico-médiatique peut venir à manipuler nos esprits.
Rassurez-vous, je ne sombre pas dans les théories complotistes, je ne fais que
tenter de vous révéler les choses avec lucidité et armé d'un concept qui aide à
éclairer ce mystère qu'est la fabrication de l'opinion publique par les
politiciens, les médias et les différents acteurs sociaux et économiques. En
étudiant les pratiques de cadrage des médias, on peut se voir révéler grâce au
degré de médiatisation le niveau d'intervention des journalistes dans les
contenus médiatiques, mais aussi les efforts stratégiques déployés par les
acteurs politiques pour adapter leurs communications à la logique médiatique
dans l'espoir d'influer sur l'opinion publique.
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La
déchéance du gouvernement Legault dans l'opinion publique
Cela m'amène à mon sujet principal. La prédiction
par les médias et les maisons de sondage de la défaite du gouvernement Legault
aux prochaines élections. Cette nouvelle, fabriquée de toute pièce par les
médias, notamment le réseau TVA et par les oracles sondagiers, en l'occurrence
la firme Léger, partenaire de Quebecor et dont le président, Jean-Marc Léger,
est membre du Conseil d'administration de TVA.
Cette nouvelle de la dernière semaine est révélatrice
de la fonction d'influence des techniques de médiatisation et de la logique qui
y préside. Un gouvernement impopulaire largement à cause d'un contexte
économique défavorable notamment dû à l'inflation et aux décisions incohérentes
dixit les atermoiements sur le troisième lien à Québec, la fabrication d'une
solution de rechange, la montée du PQ et de Paul St-Pierre Plamondon et un
narratif qui annonce la transformation du PLQ en succursale de son grand frère
fédéral et à la stagnation de Québec solidaire. Grâce aux oracles sondagiers,
les médias, mettant à contribution leur objectivité et prenant toutes les
précautions d'usage pour expliquer qu'un sondage est une photo d'une réalité
évanescente et non pas une vérité factuelle, créent la nouvelle avec un rien.
Cela n'empêche pas que ces faits, qui n'en sont pas vraiment, deviennent la
pâture de tous les commentateux de la politique sur l'ensemble des
antennes. Même les concurrents de TVA participent à la danse. Ne se contentant
pas de faire une nouvelle sur des fétus de paille, les journalistes iront à la
rencontre des acteurs pour les questionner sur leur projet d'avenir. Ainsi, on
demande à monsieur Legault si les résultats des sondages l'amèneront à
réfléchir à son avenir. Nous ne sommes pas loin de chercher à savoir si des
ministres importants vont penser à quitter la politique ou encore à vouloir
devenir califes à la place du Calife. Que de bruits autour d'une nouvelle
fabriquée de toutes pièces qui illustre parfaitement le propos des auteurs du
livre de Mireille Lalancette et de Frédérick Bastien ! Soyez avertis, le
commentaire politique a changé de logique. Nous ne sommes plus à l'ère du
commentaire des tenants et aboutissants des acteurs, mais plutôt à l'ère de la
fabrication de nouvelles sur des bases fragiles. Pas étonnant que de l'autre
côté de la frontière, les fake news ont la côte.
Il faut se méfier de ces pratiques qui font de
nos commentateurs des diseuses de bonne aventure...