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Le choix de Sophie

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 18 janvier 2023      

En 1979, le romancier américain, William Styron, nous a donné un grand roman, Le choix de Sophie, qui traite de culpabilité, de nazisme et d'esclavagisme. Au cœur du roman, ce choix de Sophie qui doit privilégier la vie de l'un de ses enfants pour permettre à l'autre de vivre. Cela nous a donné l'expression anglaise Sophie's choice qui fait référence à un choix tragique et insoutenable entre deux possibilités. C'est un peu ce à quoi nous fait penser la démission de madame Sophie Brochu de son poste à Hydro-Québec. Elle aime passionnément son travail, mais elle se refuse à jouer le jeu d'un gouvernement qui a des orientations développementalistes eu égard à celles qu'elle privilégie soit un meilleur usage des ressources disponibles plutôt que l'expansion des capacités de production hydro-électriques de notre société d'État. Avec des nuances bien sûr...

Ce que je veux dire dans cette chronique c'est que la démission de Sophie Brochu comme présidente-directrice générale d'Hydro-Québec n'a rien à voir, contrairement à ce que l'on dit et on écrit beaucoup au Québec ces jours-ci, avec un conflit de personnalités entre le super ministre de l'Économie et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon et madame Brochu. C'est plutôt le début d'un vrai débat sur l'avenir du Québec et de son économie. Enfin, comme le souhaitait jadis le premier ministre Philippe Couillard, on va parler des vraies affaires. C'est ce à quoi je vous convie dans cette chronique. Amorcer un début de réflexion sur l'avenir du Québec par le prisme du développement ou non de nos ressources énergétiques et du biais de notre fleuron, jadis notre fierté, Hydro-Québec.


 

Hydro-Québec et nous...

Une image contenant texte, extérieurDescription générée automatiquementIl y a près de 10 ans maintenant, l'historien Stéphane Savard a écrit un très bel ouvrage sur Hydro-Québec. Publié chez Septentrion en 2013, le livre de Stéphane Savard qui s'intitule : Hydro-Québec et l'État québécois, 1944-2005, ce volume nous dresse un portrait saisissant du rôle prédominant de cette société publique dans la construction de l'identité québécoise ainsi que son instrumentalisation politique à des fins étatiques ou partisanes. Les événements actuels qui ponctuent la vie d'Hydro-Québec s'inscrivent dans la foulée de cet ouvrage historique. Une fois encore, l'avenir d'Hydro-Québec sera au cœur de notre construction nationale et les tenants d'une option ou d'une autre instrumentaliseront les débats à des fins politiques. Cette fois, le bras de fer se déroulera entre les écologistes purs et durs et les tenants du développement économique. Il ne faut pas se cacher la vérité. Il existe présentement une guerre larvée dans l'opinion publique entre les partisans d'une idéologie de décroissance économique que nous retrouvons dans le coin des écologistes au nom de la sauvegarde de l'humanité menacée par les changements climatiques et de l'autre côté celles et ceux qui croient que l'on peut concilier le développement économique et la lutte aux changements climatiques dans un concept un peu flou et souvent la cible d'écoblanchiment de développement durable. Entre les uns et les autres, ce qui se jouera ce n'est pas le sauvetage de l'humanité, mais bel et bien l'avenir du Québec, de sa population, de son caractère distinct, de sa langue et de sa culture. En fait, nos choix énergétiques d'aujourd'hui sont fondamentaux pour notre avenir. C'est pourquoi nous ne devons pas cette fois, comme trop souvent, faire l'économie de ce débat.

L'énergie au cœur du pouvoir

Une image contenant texte, parapluie, accessoireDescription générée automatiquementIl faut lire l'essai publié chez Fides l'an dernier par Yvan Cliche sur le pétrole comme enjeu stratégique. Dans cet ouvrage intitulé : Jusqu'à plus soif : Pétrole-gaz-solaire-éolien : enjeux et conflits énergétiques, on y comprend que depuis ses origines à aujourd'hui, cette ressource a été au cœur de toutes les luttes de pouvoir et des guerres et qu'une simple variation de son prix à la pompe ou de sa disponibilité vient complètement bouleverser nos économies. Aujourd'hui, la lutte aux changements climatiques et le développement des énergies renouvelables vont bouleverser profondément la carte géopolitique mondiale. Les pays qui réussiront le mieux leur transition énergétique seront les grands gagnants du monde qui se crée aujourd'hui sous nos yeux. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le débat que nous devons avoir sur l'avenir d'Hydro-Québec. Il faut comprendre comment la transition énergétique obligée dans laquelle nous sommes engagés va amener de nouveaux acteurs et créer de nouveaux pôles d'influence. Dans son essai, Cliche situe bien le problème, citons-le :

« La géopolitique de l'énergie n'apparaît peut-être pas comme un facteur de premier plan pour le Québec, pourtant il l'est d'une certaine manière. Peu savent qu'environ la moitié du déficit annuel de la balance commerciale de la province est liée à ses achats de pétrole. Ici, comme ailleurs, le quotidien des gens est grandement perturbé par les hausses des prix de l'essence. Celle-ci influence non seulement les déplacements, mais également le panier d'épicerie, car les denrées importées ou transportées sur de longues distances deviennent plus dispendieuses. Et on s'arrête trop rarement à d'éventuelles ruptures d'approvisionnement, peu fréquentes, mais jamais impossibles. Le Québec serait grandement vulnérable dans de tels scénarios, et on sait peu sur les plans de contingence qui seraient déployés. Enfin, le secteur de l'énergie est appelé à connaître de grandes transformations, et celles-ci font entrevoir des possibilités intéressantes pour le Québec. Les Québécois ont joué un rôle marginal dans la géopolitique des hydrocarbures (charbon, pétrole, gaz), n'ayant jamais extrait de telles ressources de leur territoire. Mais la portion enviable du Québec comme grand producteur d'énergies renouvelables et de minéraux nécessaires à la transition énergétique, notamment pour le développement des batteries de véhicules électriques et de l'hydrogène propre (vert) permet de croire qu'il pourrait devenir un acteur d'importance dans la géopolitique énergétique qui se dessine pour le reste du XXIe siècle » (Yvan Cliche, Jusqu'à plus soif : Pétrole-gaz-solaire-éolien : enjeux et conflits énergétiques, Montréal, Fides, 2022, p.6-7).

Ce qu'écrit Yvan Cliche est en phase avec ce que je pense de cet enjeu majeur pour le Québec. Je trouve étrange qu'une femme aussi talentueuse que madame Sophie Brochu ait refusé de prendre part à cet immense défi pour l'avenir du Québec. Faut-il en déduire qu'elle ne pensait pas avoir les compétences nécessaires pour aider le Québec à faire des choix stratégiques pour son avenir ? Seule elle le sait...

Il faut avoir une vraie conversation

On le voit bien, le départ de madame Sophie Brochu n'est pas un problème de conflits de personnalités entre elle et le gouvernement, mais plutôt l'occasion pour le Québec de se faire une tête sur l'avenir du Québec dans un monde qui se transforme à vitesse grand V. Hier comme aujourd'hui, Hydro-Québec constitue un outil privilégié pour faire avancer le Québec et l'aider à se positionner pour l'avenir. Il faut que nous ayons ensemble une vraie conversation qui viendra nous soutenir dans nos choix collectifs quant à nos stratégies collectives de luttes aux changements climatiques, à nos relations avec les peuples des Premières Nations, à notre rapport avec notre environnement, nos rivières majestueuses et notre mode de vie. En fait, ce dont il sera question dans ce débat ce n'est rien de moins que l'avenir du Québec et de son rapport au monde. Cela mérite d'avoir ensemble une vraie conversation qui ne peut se limiter à une simple commission parlementaire ou à des décrets ministériels. Nous devons parler de notre avenir. On voit que cela dépasse de loin le choix de Sophie...


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