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La honte du passé

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 19 avril 2023      

Cette époque demeure étonnante. La culpabilité envers un passé souvent méconnu ne cesse de nous dicter nos comportements présents. Ignares de l'histoire, nous demeurons prisonniers d'une geôle d'ignorance qui ne cesse de miner notre capacité d'agir aujourd'hui. C'est la réflexion qui m'est venue cette dernière semaine alors que nos consciences sont obscurcies par des certitudes qui refoulent notre passé et nous empêche d'en voir des traces dans notre avenir. Ainsi, en est-il de ces interminables jérémiades sur les questions de laïcité, de la place des religions et du rôle de l'Église catholique romaine dans ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Non, nous n'avons pas à avoir honte de notre passé, mais nous devons néanmoins en tirer des enseignements utiles pour l'avenir. Réflexions à partir d'un tweet pascal du premier ministre du Québec, François Legault sur notre passé religieux et la solidarité toute québécoise.

Le tweet en question

Lundi de pâques, François Legault retweetait la chronique du sociologue conservateur de droite Mathieu Bock-Côté qui en ce weekend pascal cherchait à faire l'éloge de notre vieux fond catholique qui serait responsable, selon Bock-Côté, de notre proverbial sens de la solidarité qui se distinguerait en Amérique des autres communautés. Monsieur Legault a plutôt mal choisi son moment, son tweet venait clore une semaine où son gouvernement interdisait des locaux de prières dans nos écoles visant une fois de plus nos compatriotes de confession musulmane. Alors que souvent on accuse son gouvernement de catho-laïcité, monsieur Legault n'aurait pas pu choisir de pire moment pour donner de l'eau au moulin de ses détracteurs. Cela ne prouve qu'une chose, c'est que malgré nos prétentions à la laïcisation de la société québécoise, jamais la religion n'a occupé autant de places dans l'espace public. Faut-il s'en étonner dans un pays où notre constitution reconnaît Dieu ?

Je ne veux pas débattre ici de la question des croyances même si personnellement je ne crois pas à un autre Dieu que celui de notre propre humanité. Je crois cependant qu'il est important pour se faire une tête dans ces débats sans queue ni tête d'éclaircir les termes du débat pour savoir de quoi l'on parle au juste.

Les termes d'un faux débat

Monsieur Legault a repris dans son tweet une idée puisée dans la chronique de Mathieu Bock-Côté à savoir que : « Le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture de la solidarité qui nous distingue à l'échelle continentale. »

Outre le fait que nous sommes plutôt en accord avec la professeure des religions de l'Université de Montréal, Solange Lefebvre qui mentionne que « la religion n'est pas un faire-valoir d'une unité nationale ou d'une identité », il importe aussi de relever que la société québécoise n'est pas une société plus solidaire que d'autres. Je ne sais d'où l'on peut tirer cette prétention que le Québec est un endroit où nous vivons plus intensément la solidarité qu'ailleurs. De nombreux faits démentent cette affirmation bien que des apparences puissent le laisser croire. Les apparences en question sont l'omniprésence de l'État.

Il est vrai que le Québec se distingue de maintes façons à l'échelle du continent nord-américain, mais pas en matière de solidarité sociale. À témoin, les mouvements coopératifs dans l'Ouest canadien d'où est issu l'ancêtre du CCF, le NPD. Les mouvements progressistes et de gauche d'où émanent souvent la solidarité étaient bien souvent chez nous animés par des juifs donc pas des catholiques. Par ailleurs, si le catholicisme rimait avec solidarité, l'Amérique latine ne serait pas ce qu'elle est devenue, non ?

Je crois que monsieur Legault faisait plutôt allusion à la solidarité nationale. Cette solidarité qui incarnée par l'Église catholique chez nous s'est faite gardienne de la foi, de la langue française. Cette solidarité nationale qui fut le pilier de notre idéologie de survivance. Mais cette Église ne fut pas sans tache. Sans rappeler toutes les horreurs qu'on lui rattache à notre époque, il faut bien mentionner que celle-ci n'était pas uniquement peuplée de progressistes comme Mgr Charbonneau ou le père Georges-Henri Lévesque. Il y avait une large part de conservateurs réactionnaires qui ont fait un enfer de la vie de nombreuses générations de Québécois et de Québécoises. Ce n'est pas pour rien que nous avons eu Les Cyniques et que nous avons jeté dehors de nos vies cette Église.

Il faut aussi rappeler que la lutte des Canadiens français du Québec pour s'affranchir du colonialisme britannique incarné pendant longtemps par le Canada et son régime constitutionnel ne fut pas le fait unique des catholiques, mais d'une génération d'hommes et de femmes déterminée à en finir avec la discrimination systémique des Canadiens français à l'échelle nationale. Pour vaincre ce fléau, toujours présent encore aujourd'hui, l'État québécois fut l'arme de prédilection retenue. C'est ce qui a permis à la majorité francophone du Québec de s'affranchir de la tutelle britannique et d'améliorer considérablement les conditions de vie d'une majorité d'entre nous. Ce fut moins une question de solidarité qu'une question de survie qui fut à l'origine de notre « révolution tranquille ». Notre caractère catholique a peu à y avoir n'en déplaise à messieurs Legault et Bock-Côté.

Dans ce même contexte, il est aussi vrai qu'après la défaite de nos patriotes, nous nous sommes réfugiés sous les jupons de notre Église pour assurer notre survivance en tant que peuple nation. Ce qui fait que nous pouvons parler au Québec et, aussi en Acadie, du concept d'Église nation. Ce qui est vrai c'est que l'Église catholique romaine nous a servi de refuge et a été l'un des outils essentiels de la survie de notre langue, notre foi et notre culture, mais cela n'a pas fait pour autant de nous un lieu culte de la solidarité humaine.

Le passé refoulé

Aujourd'hui, les termes du débat sont fort différents. La société québécoise est pleinement intégrée au monde occidental dans lequel nous vivons. Nous vivons au rythme de l'American way of life et nous sommes plus que jamais perméables aux influences de la société américaine. Nous en avons pour preuve ce débat surréaliste mené chez nous envers les drag-queens qui nous vient tout droit des États-Unis d'Amérique. Il en va de même avec tous ces concepts importés des universités américaines sur les théories du genre, du colonialisme. Les fondements de la pensée woke au Québec sont originaires des États-Unis sous l'influence de penseurs et philosophes français comme Jacques Derrida et Michel Foucault. Nous devons être fiers de nos appartenances et de nos origines sans pour autant faire nôtre le discours nationaliste conservateur faisant du Québec un peuple élu et, comme le suggérait le Chanoine Lionel Groulx, en manque d'un leader fort.

Le Québec constitue une singularité en Amérique du Nord. Notre parcours, notre histoire a fait de nous des gens qui ont une coloration différente, mais cela ne se traduit pas par des qualités supérieures. Nous avons les qualités et les défauts de notre contexte. Dans celui-ci, l'Église catholique romaine et ses principaux acteurs sont une partie de nous. Il n'y a pas que du Blanc ou du Noir, mais une multitude de teintes de gris pour comprendre ce que nous sommes devenus. Ainsi, il n'y a pas eu de grande noirceur, ni de Révolution tranquille au sens propre. Il y a eu des transformations structurelles profondes et le monde dans lequel nous évoluons a lui aussi connu de grands changements.

Il ne faut pas avoir honte de notre passé. Il importe surtout de ne pas chercher à réécrire l'histoire avec les codes sociaux à l'honneur aujourd'hui. Nous devons interroger notre passé avec nos nouveaux questionnements et proposer de nouvelles interprétations de ce qui a fait de nous ce que nous sommes devenus. Soit, nous ne devons ni grandir nos souvenirs ni les transformer en conte de fées ou en histoire d'horreur. Nous sommes ce que nous sommes et ce qui est advenu est le résultat de nos débats et de nos rapports sociaux. Une chose est certaine c'est que l'on peut croire en un Dieu ou non, cela n'a rien avoir avec la grandeur ou la petitesse du peuple québécois. Ni peuple élu, ni exception grandiose, le Québec est une communauté humaine qui a grandi avec de multiples influences. Nous n'avons pas à voir peur de poser toutes les questions, mais surtout il ne faut pas avoir honte du passé...



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