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Sortir de l’État-nation?

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 6 juillet 2016      

Il faut avoir du respect envers le choix fait par le peuple de Grande-Bretagne qui a décidé à 52 % de mettre fin à l'aventure du Royaume-Uni dans l'Union européenne telle qu'elle est dessinée par les bureaucrates de Bruxelles. D'un point de vue canadien, cet événement est riche d'enseignement. Il fait la démonstration, que bien qu'imparfait, le système fédéral canadien est beaucoup mieux adapté au respect des volontés des pouvoirs locaux et suprarégionaux voire nationaux que ne l'a jamais été le modèle de construction européenne. Curieusement, c'est l'incapacité du régime européen bruxellois à inclure les divers pays dans une intégration de type fédérale qui est la grande responsable de l'échec actuel de l'Union européenne. La question que pose le Brexit est simple : quel avenir pour l'État nation dans un monde de plus en plus mondialisé? Certains comme le juriste Guillaume Rousseau appellent à plus d'États nations alors que moi je souhaite la venue d'un fédéralisme coopératif multinational. Matière à débat...

Le cadre national

Le professeur de droit à l'Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau dresse un verdict sans appel dans une opinion publiée dans Le Devoir du 30 juin dernier : « Or, s'il y a bien une leçon à retenir du référendum sur le Brexit, c'est que les Britanniques ont senti le besoin de reprendre le contrôle de leur pays, parce qu'en dehors du cadre national il ne peut y avoir de démocratie et encore moins de démocratie nationale » (Rousseau, Guillaume, « Pas de démocratie sociale en dehors du cadre national », Le Devoir, 30 juin 2016, p. A6.) (http://media1.ledevoir.com/international/europe/474516/pas-de-democratie-sociale-en-dehors-du-cadre-national)

Cela ouvre le débat sur l'avenir de l'État nation dans le monde d'aujourd'hui. L'État nation semble avoir toujours été la forme juridique dominante, mais cela est faux. Cette forme juridique n'existe que depuis le 19e siècle même si l'on doit ses premiers balbutiements au traité de Westphalie signé en 1648 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9s_de_Westphalie). Ce n'est qu'au moment du printemps européen au milieu du 19e siècle que l'on verra prendre forme les États-nations comme nous les concevons aujourd'hui.

Cela coïncide, il est vrai, avec la formation d'un esprit national et le sentiment national s'est développé autour des progrès de l'imprimerie et de la constitution d'opinions publiques dans les divers États. Ce phénomène a bien été expliqué par Benedict Anderson dans son livre sur les communautés imaginées : L'imaginaire national, réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme (https://fr.wikipedia.org/wiki/Benedict_Anderson).

Adapter les formes juridiques de notre vivre ensemble et l'échec de l'UE

Or, le 21e siècle fait place à une intégration poussée des économies nationales. Cela nécessite une adaptation des formes juridiques et sociales de l'assemblage des humains. Cela est un long processus, mais les choses évoluent et l'État-nation, pas plus que le Royaume, l'Empire, le Clan ou la Tribu ne sont des formes définitives et immuables de l'organisation humaine sur cette planète. Certes, on ne peut nier la force toujours actuelle des appartenances nationales ou du sentiment de sécurité accolé à son lieu de vie ou sa région d'appartenance, mais le grand brassage des économies joint à la mobilité des personnes qui conduit à une plus grande mixité des populations sont des phénomènes irréversibles. Cela appelle à l'évolution de la forme juridique actuelle de l'État-nation vers autre chose. Une destinée qui devrait conduire à une destination, non pas sans appartenance à une communauté, mais une communauté imaginée autrement que par le fait national. Une communauté de citoyennes, de citoyens et d'humains qui choisissent ensemble de vivre un passé et un présent communs vers une destination ou un horizon librement consenti. À cet égard, le modèle de construction européenne semble avoir échoué pour le moment. Cela est à mon sens parce qu'il a manqué d'intégration et non pas parce qu'il y a eu trop d'homogénéisation. L'un des plus grands admirateurs du modèle européen fut sans doute notre regretté ex-premier ministre, Robert Bourassa.

Le fédéralisme, un système politique gagnant?

Celui-ci disait avec beaucoup de justesse dans le cadre des débats sur le fédéralisme canadien, pas d'intégration économique sans union monétaire et pas d'union monétaire sans intégration politique pour dénoncer les vicissitudes du modèle de souveraineté-association défendu alors par notre autre regretté premier ministre René Lévesque. Le vote des Britanniques semble aujourd'hui donner raison à Robert Bourassa.

Mais est-il possible de revenir en arrière? Les économies modernes peuvent-elles revenir à l'autarcie économique et au protectionnisme? Peut-on mettre un frein au mouvement migratoire mondial des populations? Peut-on encore aujourd'hui, dans l'état actuel de nos connaissances scientifiques, se faire croire que les races et les nations existent en soi et qu'elles ne sont pas une création fictive de nos imaginaires collectifs? Ceux qui pensent que j'exagère, je leur recommande de lire l'excellent ouvrage de Yuval Noah Harari et Pierre-Emmanuel Dauzat intitulé Sapiens. Une brève histoire de l'humanité publié à Paris chez Albin Michel en 2015. Une lecture attentive permet de comprendre toute la relativité des races et des langues dans la formation de l'humanité (http://www.albin-michel.fr/ouvrages/sapiens-9782226257017).

Il faut donc parfaire le fédéralisme. Pour y parvenir, nous devons d'abord réconcilier nos mémoires communes. Reconnaître que le Canada a bel et bien été un pays de type unitaire qui a écrasé dans sa logique de création les identités nationales. Il faut développer un récit multinational commun au Canada. Il importe aussi que nous réfléchissions ensemble à la hiérarchisation des droits et faire une place légitime aux droits collectifs des nations qui forment le Canada. Enfin, il faut faire naître chez nous un fédéralisme multinational qui permettra l'apparition de voies généreuses du vivre ensemble commun à tous dans le respect d'une juste démocratie, des identités nationales concurrentes présentes sur le territoire canadien et d'une plus grande stabilité de notre vie démocratique.

Il faut accepter que le fédéralisme soit un système permanent de tensions dynamiques, mais que ce soit un régime viable en démocratie pour autant que l'on témoigne d'une capacité d'innovation, de respect des parties prenantes présentes et de l'existence d'un dialogue permanent. Le blocage constitutionnel est étranger au fédéralisme. Le Canada doit se réinventer pour s'assurer des voies ensoleillées promises par Justin Trudeau. Il faut sortir de l'État-nation et s'engager résolument dans le fédéralisme de type multinational...

Lectures recommandées :

BEAUCHEMIN, Jacques. dir., Mémoire et démocratie en Occident. Concurrence des mémoires et concurrence victimaire, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, 136 p. (Diversitas).
GAGNON, Alain-G. et coll., Les nationalismes majoritaires contemporains : identité, mémoire et pouvoir, Montréal, Québec-Amérique, 2007, 311 p. (Débats).
GAGNON, Alain-G. La raison du plus fort. Plaidoyer pour le fédéralisme multinational, Montréal, Québec-Amérique, 2008, 236 p. (Débats).
LAMPRON, Louis Philippe. La hiérarchie des droits. Convictions religieuses et droits fondamentaux au Canada, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2012, 396 p. (Diversitas).
PARENT, Christophe. Le concept d'État fédéral multinational. Essai sur l'union des peuples, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, 491 p. (Diversitas).
REUCHAMPS, Min. L'avenir du fédéralisme en Belgique et au Canada. Quand les citoyens en parlent, Bruxelles, 2011, 264 p. (Diversitas).
SEYMOUR, Michel et Guy LAFOREST. Le fédéralisme multinational. Un modèle viable?, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, 343 p. (Diversitas).
ROUSSEAU Guillaume. « Pas de démocratie sociale en dehors du cadre national », Le Devoir, 30 juin 2016, p. A6.
ROUSSEAU Guillaume. L'État-nation face aux régions. Une histoire comparée du Québec et de la France, Québec, Septentrion, 2016, 525 p. (Cahier des Amériques).


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