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Le Québec d’esprit colonial

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 11 avril 2018      

Cela n'aura échappé à personne. Le refus du gouvernement du Québec de reconnaître la valeur des traditions autochtones en les opposant à la science dans les évaluations environnementales traduit bien un état d'esprit colonial. Ce n'est pas pour rien que le premier ministre Couillard s'est empressé d'offrir ses excuses.

Il y a dans ce fait une vraie question. Quelle valeur doit-on accorder à la culture autochtone dans les processus où la science est présente? Doit-on tout miser sur la science et nier les réalités de peuples culturellement différents du nôtre en affirmant la supériorité de la science sur les traditions d'oralité amérindiennes? Doit-on privilégier la science contre la culture? Plongée au cœur d'une question capitale dans l'exploration de l'inconscient colonial et impérialiste de la science des blancs.

La valeur de la culture autochtone : l'exemple des Innus

On doit à l'anthropologue et animateur de radio bien connu, Serge Bouchard, un très beau livre sur la culture autochtone consacré à ses amis innus intitulé : Le peuple rieur. Hommage à mes amis innus publié en 2017. Serge Bouchard nous livre un témoignage largement appuyé par des faits sur ces peuples innus. Dans ce livre, Serge Bouchard nous livre un récit passionnant sur ces peuples qui vivent au Québec et au Canada : « Au fil des chapitres, vous allez accompagner le jeune anthropologue que j'étais au début des années 1970, arrivé à Ekuanitshit (Mingan). Vous le devinez, ces petites histoires sont prétextes à en raconter de plus grandes. Celles d'un peuple résilient, une société traditionnelle de chasseurs nomades qui s'est maintenue pendant des siècles, une société dont les fondements ont été ébranlés et brisés entre 1850 et 1950, alors que le gouvernement orchestrait la sédentarisation des adultes et l'éducation forcée des enfants. Ce récit commence dans la nuit des temps et se poursuit à travers les siècles, jusqu'aux luttes politiques et culturelles d'aujourd'hui. » (Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Le peuple rieur. Hommage à mes amis innus, Montréal, Lux éditeur, 2017, quatrième de couverture.) Dans cet ouvrage, Serge Bouchard nous livre un récit édifiant de la marche du peuple innu et de sa résilience. Une société qui mène un combat de tous les instants contre les agressions des Blancs qui ont brisé les fondements de leur culture pour les sédentariser et les éduquer. Bref, Serge Bouchard nous explique au moyen de multiples petites histoires, la lutte des Innus pour défendre leur culture. Une lutte politique qui a permis à la nation innue de perdurer depuis plus de 2000 ans en cette partie de l'Amérique du Nord que nous partageons avec eux.

La science et les peuples autochtones

Ce qui est le plus touchant du témoignage de Serge Bouchard c'est le récit qu'il partage de sa découverte de ce peuple durant ses études de jeune anthropologue. Ce puissant témoignage de Serge Bouchard sur les peuples innus est à bien des égards rafraîchissant et il nous fait réfléchir à nos attitudes et à nos comportements comme société et aussi à la manière dont nous considérons ces peuples dans l'espace public avec la conséquence de l'image que nous en avons et qui est celle de l'opinion publique. Un exemple nous est donné par le témoignage que nous partage Serge Bouchard sur ses travaux de mémoire de maîtrise en anthropologie qui portait sur le savoir des Innus dans le champ de la zoologie.

Son hypothèse de travail était que dans une communauté traditionnelle de chasseurs nomades, « ... le savoir est communiqué par l'exemple, mais il se transmet aussi par la tradition orale » (Op. cit. p. 38). Mieux encore, Serge Bouchard, en se mettant à l'écoute des anciens chez les Innus a découvert tout un pan de la réalité culturelle de ces peuples qui était ignorée par notre science : « À Mingan, je venais à la rencontre d'archives vivantes. Que savaient ces chasseurs, au juste, sur les animaux et la nature? Connaissaient-ils le nom de toutes les espèces? Comment les classaient-ils dans leur tête; de quelle façon s'organisaient et se structuraient mentalement les informations accumulées depuis des générations d'observations et de pratiques? Voilà ce que l'anthropologie appelle l'ethnoscience, l'étude du savoir d'un peuple à propos de l'environnement dans lequel il évolue. En bref, j'étais à la recherche de visions du monde innu en ce qui concerne les animaux sauvages. Et c'est par la langue, comme reflet d'une architecture particulière de la mémoire, de l'imaginaire, de la pensée, que j'entendais y accéder... » (Ibid. p. 39)

Serge Bouchard ne fut pas déçu. Il a ainsi appris qui était Katshituask, un ours qui a mangé les parents du jeune Tshakapesh. Il a aussi entendu les Innus lui dire où résidait Papakassik, le maître des caribous ou encore comment s'y prenait Uishkatshan, le geai gris, pour venir en aide aux petits mammifères (Ibid. p. 41). Serge Bouchard nous dit qu'il est alors entré en contact avec la riche culture des Innus en interrogeant les anciens sur les animaux sauvages de leur environnement : « Si la structure taxonomique fut assez facile à établir, il me fallut mettre en relief les dimensions les plus dynamiques du savoir innu; des siècles de nomadisme avaient donné à ce peuple une expérience quasi intime, et absolument spirituelle, du territoire. Couleur, forme, comportement, milieu de vie, rôle mythologique, poids symbolique, résonnance dans l'ordre sacré... la mise en scène de chacune des espèces identifiées ouvrait les perspectives d'un discours fécond. » (Ibid. p. 41)

Cela porte à réflexion quant à notre facilité à reléguer aux oubliettes les connaissances autochtones au nom de la sacro-sainte science. D'ailleurs, qui a dit que la science était neutre?

La science est-elle neutre et exempte de préjugés?

En écoutant l'excellente émission de François Quesnel à TV5, La grande librairie, j'y ai découvert un auteur et un bouquin. Le journaliste Douglas Preston qui a écrit un livre sur la Cité Blanche au Honduras, terre inexplorée et encore vierge au 21e siècle et qui fut le site d'une civilisation précolombienne et d'une cité, La Cité perdue du dieu singe. Entrevue intéressante et qui m'a fait acheter ce livre. (Douglas Preston, La Cité perdue du dieu singe. Une histoire vraie, Paris, Albin Michel, 2018). Or, dans ce livre, à la page 330, il est écrit : « Un biologiste m'a confié que ce qui a probablement sauvé un grand nombre de cultures indigènes de l'extinction, ce sont les viols généralisés de femmes autochtones par des Européens; la plupart des bébés nés de ces viols ont hérité de la résistance génétique à la maladie. » (Après avoir exposé cette théorie abjecte, ce scientifique m'a demandé : « Je vous en supplie, n'associez pas mon nom à cette idée. ») (Douglas Preston, ibid. p. 330).
Imaginez la science objective qui justifie le viol comme explication de la pérennité des cultures indigènes. Ne croyez-vous pas qu'un membre d'une nation amérindienne bien né serait avisé de se méfier de ces blancs qui l'ont « civilisé » malgré lui et qui justifient le viol des femmes par la science a posteriori? Cela répond à la question de l'objectivité de la science des blancs. Est-il si impensable que d'accorder de l'intérêt aux connaissances autochtones?

Colonialisme quand tu nous tiens...

Faire connaissance avec le peuple innu et les sortir de l'oubli constitue un défi pour le Québec contemporain : « Dans un monde meilleur, les jeunes innus, mieux instruits, sauront d'où ils viennent et qui ils sont. Ils apprendront l'étendue du grand Nitassinan et pourront envisager la carte géopolitique précolombienne; ils seront désormais en mesure de resituer la nation innue dans le concert des premiers peuples nord-américains. » (Ibid. p. 298 et 299)

Pour nous tous, Québécoises et Québécois, sortir de l'oubli le peuple innu est une étape préalable à notre propre sortie de l'oubli comme peuple et comme nation. Nous avons tout avantage à nous souvenir ensemble. Ainsi, pourrait-on réussir à rompre avec un Québec d'esprit colonial...


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