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Rapetisser les humains

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Photo : Parmi toutes les universités, la nôtre, l'Université de Sherbrooke, semble défavorisée par les nouvelles règles de financement. - Daniel Nadeau
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 23 mai 2018      

Malgré la joie exprimée, bienséance électorale oblige, par les représentants des universités au Québec dans la foulée de l'annonce des nouvelles règles budgétaires du gouvernement Couillard, nos universités sont toujours sous-financées par rapport aux universités canadiennes et aux autres universités dans le monde.

Malgré les discours lénifiants sur l'importance de l'éducation, les gouvernements, celui de Philippe Couillard, joue la même partition de musique, nos universités sont toujours sous-financées et le plan annoncé la semaine dernière par la ministre Hélène David ne vient pas juguler cette situation. Cela revêt une importance particulière chez nous en Estrie alors que les universités sont notre moteur de développement économique. Retour sur un sujet tabou, le financement de nos universités.

Ça sert à quoi les universités?

À l'origine, les universités devaient assurer la formation d'une élite afin de donner à la société québécoise les leviers essentiels de son développement. Personne n'est dupe, les promesses de la réforme de l'enseignement promises par le Rapport Parent ont été depuis longtemps oubliées au Québec. Qui plus est, la vision du rôle des universités en particulier est devenue à notre époque plus instrumentalisée que jamais. Pour le gouvernement actuel, les universités ne sont plus que des outils pour former une main-d'œuvre ultraspécialisée. On veut créer des programmes de formation sur mesure pour les besoins des entreprises. Jamais la formation générale qui prépare des têtes bien faites n'aura été aussi négligée. Bien sûr, à quoi peuvent bien servir des philosophes, des historiens, des psychologues, des ethnologues, des anthropologues et des sociologues? À rien puisque c'est dans ce type de formation que l'on retrouve le plus de chômeurs. Vaut mieux former des ingénieurs, des médecins et des avocats non?

Pourtant l'Université n'est pas une école spécialisée pour former la main-d'œuvre. C'est un lieu d'apprentissage et de savoir qui permet à une société de former des gens qui œuvrent à notre développement global comme société. C'est ce que j'écrivais ici en novembre 2015 : « N'en déplaise à certains chantres de la go-gauche ou encore aux incultes qui ne jurent que par les sciences dures en les opposant aux sciences molles, l'Université est bien plus que les discours que l'on entend sur son compte. Oui, l'Université est un moteur de notre développement économique, mais c'est aussi un lieu de formation des esprits de notre jeunesse. Esprits que l'on souhaite les plus critiques possible. L'Université peut contribuer par ses recherches et ses innovations à améliorer nos vies et favoriser le démarrage d'entreprises, mais elle doit aussi s'assurer de rayonner dans nos communautés pour favoriser le développement de nouvelles solidarités et de perpétuer la justice sociale. L'Université doit former des gens pour le marché du travail, mais elle doit aussi permettre l'acquisition de connaissances et favoriser la créativité. » Je n'ai pas changé d'idée aujourd'hui.

Le nouveau financement proposé par le gouvernement Couillard

Certes, nous ne devons pas être de mauvaise foi et célébrer le fait que les universités auront plus d'argent mis à leur disposition pour accomplir leur mandat. Grand bien nous fasse! Néanmoins, si j'ai bien saisi les documents publiés par la ministre David concernant le réinvestissement dans les universités c'est 1,5 milliard de dollars supplémentaires dans les universités de 2017-2018 à 2022-2023. Un réinvestissement en moyenne de 367 millions par année soit une augmentation d'environ 13 % du financement eu égard en 2016-2017. Pour l'année en cours, on parle plus d'un montant, à moins d'une erreur de ma part, de 173 millions de dollars. Une somme beaucoup plus modeste que la présentation marketing consolidée peut laisser croire. Élection oblige...

Même en étant bon prince, le réinvestissement proposé est bien loin de permettre le rattrapage de 850 millions de dollars par année sans compter que le coût de système à lui seul représente environ 2 % par année. Sur le plan de la hauteur des investissements proposés, les sommes annoncées dans la réforme du mode de financement des universités ne sont pas à la hauteur pour que le Québec puisse s'inscrire dans la mouvance des universités ontariennes et des autres universités en Amérique et en Occident. Sans compter que les nouvelles règles de financement annoncées font du racolage autour de questions comme la rémunération des recteurs et du personnel-cadre des universités, ciblent des indicateurs de performance liés au marché du travail et viennent fausser le jeu de ce financement au profit des universités à vocation régionale et en faveur de certaines professions liées aux sciences dites plus utiles à la société. Tout cela sans aucun débat ni conversation démocratiques autour du rôle et de l'avenir de nos universités. Tout cela a de quoi nous laisser sur notre faim si l'on croit véritablement au rôle essentiel de l'éducation dans notre avenir. Comme l'écrivait John Stuart Mill; « tout homme est homme avant d'être avocat, physicien ou commerçant. Et si vous en faites un homme capable et sensé, il sera un avocat ou un physicien capable et sensé. »

L'Université de Sherbrooke

Parmi toutes les universités, la nôtre, l'Université de Sherbrooke, semble défavorisée par les nouvelles règles de financement. Cela est préoccupant pour une région comme la nôtre. La volonté du gouvernement de « mercantiliser » l'enseignement supérieur, d'instrumentaliser le savoir par des règles favorisant certaines formations et les plus petites universités peuvent avoir des effets pervers sur notre université qui est une université nationale en région, pas la plus grosse, mais pas une petite non plus. Un rapide coup d'œil sur ce que donne le réinvestissement place notre université dans le peloton de queue. J'ai bien hâte d'en comprendre les tenants et les aboutissants.

Par ailleurs, la décision du gouvernement de permettre des hausses des frais de scolarité aux étudiants étrangers ne peut que favoriser les universités anglophones comme McGill, Concordia et Bishop's. Tant mieux si l'Université Bishop's y trouve son compte. N'empêche que des clarifications seraient bienvenues.

Une réformette plutôt qu'une réforme

Quoi qu'il en soit, la réforme du financement de l'enseignement supérieur tant attendu aura accouché d'une souris. Le réinvestissement est bienvenu, mais il ne vient pas permettre de rattraper le déficit accumulé du financement de nos universités par rapport aux autres universités canadiennes. On conserve le statu quo quant à des modes de financement plus diversifiés. Ce que je retiens surtout c'est qu'il n'y a pas dans cette refonte de la politique du gouvernement du financement des universités des remises en question du financement par tête de pipe, de la concurrence entre les universités pour capter les clientèles disponibles, ni de réflexion sur la qualité de l'enseignement et la place de la recherche.

C'est une réformette plutôt qu'une réforme alors que le Québec aurait besoin d'une véritable politique en matière d'enseignement et de recherche universitaire.

Avoir de la vision et de l'ambition

J'ai cité plus tôt John Stuart Mill, si vous me le permettez, je le citerai à nouveau pour mettre en garde nos décideurs que la voie choisie de mercantiliser et d'instrumentaliser l'enseignement supérieur n'est pas la décision la mieux avisée pour l'avenir du Québec : « Un État qui rapetisse les hommes, pour en faire des instruments dociles entre ses mains (note de l'auteur : ou celle du marché du travail pourrait-on comprendre de mon point de vue), même en vue de bienfaits, s'apercevra qu'avec des petits hommes rien de grand ne saurait s'accomplir. » Je crois, à tort ou raison, que la réforme proposée par le gouvernement libéral usé de Philippe Couillard en matière de financement de l'enseignement supérieur manque de vision et d'ambitions pour le Québec. C'est une politique qui à terme ne nous permettra pas d'accomplir de grandes choses et va rapetisser les humains...


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