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Un stationnement, une plaque d’immatriculation et un vieil homme… les vieux démons

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Photo : Source: gouvernement du Québec.
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 14 février 2024      

Cela se déroule dans un stationnement d'épicerie quelque part en Floride. Vous êtes allés faire des emplettes et puis une rencontre. Un Américain d'un âge certain (autour de mon propre âge, je dirais à vue de nez) et une question : Que signifie la devise « Je me souviens » sur votre plaque d'immatriculation du Québec ? De la belle matière à une chronique sur les préjugés et nos vieux démons. Laissez-moi vous raconter...

La rencontre affable devenue polissonne

Alors que je sors d'une épicerie, un Américain m'interpelle au moment où j'arrive à mon auto. Il me demande ce que signifie la devise Je me souviens sur la plaque d'immatriculation du Québec. Fouillant dans ma mémoire une réponse qui ne serait pas trop longue et qui m'apparaît facile à traduire dans un anglais compréhensible je lui réponds que c'est en mémoire de nos origines française à la suite de la conquête britannique de notre territoire (c'est plus complexe que cela, je vous l'explique plus loin dans ce texte). L'Américain jusque là affable me lance, mais pourquoi en français ? Pourquoi ne voulez-vous pas parler anglais ? Je me fais fort de lui expliquer que le Québec est une nation française en Amérique du Nord et que nous devons nous battre pour préserver notre culture et notre langue dans un océan anglophone. Il me dit alors et c'est à ce moment que notre conversation commence à déraper dans ma tête que nous sommes un peu comme les latinos et les noirs aux États-Unis qui refusent leur rôle de vaincus ou la place qu'ils doivent occuper dans le monde. Il me dit qu'il est un ancien professeur d'histoire et qu'il vivait au Connecticut avant d'émigrer en Floride. Il semble bien connaître l'histoire du Canada du moins l'année de la conquête britannique et de la guerre canado-américaine de 1812 où est née la légende de Laura Secord.

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Conscient que ce genre de rencontres est exceptionnel et sort de l'ordinaire. 99 % du temps, j'aurais dit 100 % si je n'avais pas rencontré cet individu. Règle générale, les Américains apprécient les Canadiens et les Québécois et s'intéressent à leur culture et à leur singularité. J'ai mis fin à la discussion poliment en disant à mon interlocuteur que j'étais attendu et pressé. Je n'ai pu m'empêcher cependant de le voir intégrer son véhicule de marque Hummer et devinez quoi, il y avait un auto-collant sur son pare-chocs « Make America Great Again, Trump 2024 ». Je ne suis pas arrêté pour lui demander ce qui signifiait cet auto-collant. Je le sais. Je venais de rencontrer en chair et en os l'un de ces déplorables selon Hillary Clinton qui ne jure que par son idole Donald Trump. Il y a de quoi nourrir mes préjugés contre Trump et ses partisans. Cet incident mis en boucle sur les réseaux sociaux pourrait devenir un vecteur de haine très facilement. Tout cela à partir d'une unique rencontre avec un original dans un stationnement et qui pourrait se traduire par les Américains détestent les Québécois. Cela serait faux. C'est comme cela que l'on invente et nourrit des démons inexistants, mais qui deviennent réalité. Avant de vous parler de nos vieux démons, un petit arrêt comme promis sur l'origine de notre devise « Je me souviens. »

Oups j'avais oublié...

C'est en 1883 qu'Eugène-Étienne Taché, commissaire adjoint des terres de la couronne et architecte de l'hôtel du Parlement, fait graver dans la pierre la phrase « Je me souviens » en dessous des armoiries du Québec offertes par la reine Victoria en 1868 en dessous de la porte principale. Cette devise est largement employée par la suite par le gouvernement du Québec depuis la fin du 19e siècle.

Au cours de notre histoire, diverses significations ont été données à notre devise nationale. Le fonctionnaire Ernest Gagnon y voyait l'affirmation du caractère distinct de la province de Québec au sein du Canada. L'historien Thomas Chapais, pour sa part, affirmait que cette devise rappelait notre passé de francophones en Amérique du Nord : « Oui, nous nous souvenons du passé et de ses leçons du passé et de ses malheurs du passé et de ses gloires. » En 1934, dans une notice biographique écrite sur Taché par l'Association of Ontario Land Surveyors, on peut lire l'interprétation suivante : « nous n'oublions pas et nous n'oublierons jamais nos origines, ni nos traditions et notre mémoire de tout le passé. » En 1955, l'historien Mason Wade écrit : « Quand le Canadien français dit "je me souviens", il se rappelle non seulement l'époque de la Nouvelle-France, mais également le fait qu'il appartient à un peuple conquis. »

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En 1978, le gouvernement de René Lévesque décide de remplacer le slogan touristique « La belle province » sur nos plaques d'immatriculation par la devise « Je me souviens. » Voilà l'histoire d'une devise mal connue par bien des gens. Maintenant, revenons à mon récit avec l'Américain et à nos démons...

Les vieux démons

J'écrivais plutôt que ma rencontre et ma conversation avec un Américain auraient pu servir de prétexte pour jeter du fiel sur les Américains, les trumpistes ou encore sur l'État de la Floride. Pourtant, je suis d'avis que cela ne reflète qu'une rencontre avec une personne remplie de préjugés et qui n'est en rien une preuve que les Américains sont tous comme l'individu que j'ai rencontré. Il ne faut pas céder aux démons de ses préjugés. Je vous donne un exemple vécu à Toronto la semaine dernière. Lors du match des étoiles de la Ligue nationale de hockey à Toronto, notre hymne national n'a été chanté qu'en anglais. Pas un seul mot de français. Il n'en fallait pas plus pour faire ressurgir les vieux démons de nos préjugés et déclencher les réflexes conditionnés des uns et des autres selon notre ancien disque dur fédéraliste contre souverainiste. Les fédéralistes s'indignant et les souverainistes triomphants et répétant à l'avenant que c'était une preuve de plus du mépris du Canada anglais envers le Québec, sa langue et sa culture. À mon avis, tout est faux. En vérité, s'il y a mépris c'est bien celui de la NHL qui est la vraie responsable de cet hymne chanté qu'en anglais, c'est son organisation qui est responsable de l'événement. Le même mépris que celui exprimé envers la candidature de la ville de Québec pour obtenir une franchise. Ce qui m'étonne c'est que tous ont semblé oublier que c'est le mépris de Bettman et de son organisation envers les francophones qu'il fallait dénoncer et pas le Canada anglais. Je ne suis pas étonné que le propriétaire du Canadien, Geoff Molson, n'ai pas dit mot sur cet incident. Après tout, sa famille, les Molson, a joué un rôle important dans notre histoire de communauté méprisée par les anglophones pendant trop longtemps au Québec. Se souvenir des faits est un bon chemin pour nous libérer de nos vieux démons...


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