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Privatiser le bien public


Il ne faudrait pas que la Corporation sous-estime les retombées négatives que peut provoquer son entêtement sur sa capacité d'attraction de skieurs et de golfeurs.
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Photo : crédit photos: Tourisme cantons-de-l'Est et SOS Parc Orford
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 3 juin 2020      

Parfois, la vie nous réserve de grandes surprises paradoxales. C'est notamment le cas avec la décision récente de la Corporation Ski & Golf Mont-Orford qui a annoncé la semaine dernière sa décision d'imposer un droit d'entrée aux randonneurs pour avoir accès à la montagne. Selon cette décision, les gens, à l'exception des résidants de la MRC de Memphrémagog, devront s'acquitter d'un montant de 8 $ quotidien pour utiliser une montagne qui est un bien public et qui fait partie du réseau de la SÉPAQ (Société des établissements de plein air au Québec).

Le paradoxe c'est que cette corporation publique existe parce que les gens de toute la région et de tout le Québec se sont mobilisés autour de SOS Parc Orford pour en éviter la privatisation à la fin des années 2000. Ce qui hier était bon pour Paul semble aujourd'hui mauvais pour Pierre. Partons du principe qu'en Estrie, les lacs, les montagnes et les terres sont largement privatisés contrairement à plusieurs autres régions au Québec. Sur la base de cette information, on peut mieux comprendre la levée de boucliers de la population contre cette décision. Radioscopie d'une saga en devenir.

Une décision mal avisée

On peut comprendre en ce temps de pandémie que l'argent se fait rare. Les entreprises et les organismes sont à la recherche de rentrée de fonds permettant d'assurer la pérennité de leurs activités. Nous ne sommes pas sans savoir que dans les dernières années, la Corporation publique qui gère le Mont-Orford pour ses activités de ski et de golf a procédé à d'importants investissements pour améliorer l'expérience et la rentabilité de ses activités de golf et de ski. Il est plus que probable que les conséquences de l'actuelle pandémie sur les activités de golf et de ski aient amené les dirigeants de la Corporation Ski & Golf Mont-Orford à réfléchir à de nouvelles façons de s'assurer de revenus suffisants pour garantir la pérennité de ses opérations. On peut comprendre. C'est cependant une décision mal avisée.

Manque flagrant de communication

Néanmoins, cette décision était fort mal avisée et la cible retenue est mauvaise. Premièrement, la décision n'a fait l'objet d'aucune communication publique digne de ce nom et elle a été annoncée en pleine pandémie. Il aurait été de mise que des réflexions en aval soient faites avant une telle annonce. Un minimum de préparation en utilisant le véhicule des relations publiques n'aurait pas fait de tort.

Pas de sentiers

En second lieu, les arguments avancés par la Corporation qui gère les activités de ski et de golf au Mont-Orford sont cousus de fil blanc. Ainsi, prétendre comme l'ont fait les porte-parole que ces sommes étaient nécessaires pour payer le coût d'entretien des sentiers et des stationnements ne colle pas à la réalité. Il n'y a pas de sentiers sur les installations gérées par la Corporation. Les gens empruntent les pistes de ski existantes et il est invraisemblable que le nombre de randonneurs présents puisse justifier des coûts d'entretien des pistes de ski. La question de facturer un montant pour le stationnement est une tout autre affaire et pourrait se justifier, mais jamais on n'aurait dû évoquer le coût de l'entretien des sentiers puisqu'il n'y en a pas. Peut-être que les coûts d'entretien sont dus à la circulation de camions liés aux activités des compagnies de communication. Selon des témoignages recueillis auprès d'habitués de l'endroit, les camions qui montent sur la montagne laissent de larges traces de leurs activités dans les pistes. Chose certaine, ce ne sont pas les randonneurs qui en sont responsables.

L'esprit de clocher

Un autre aspect de la question est cette idée d'un traitement différencié pour les résidants de la MRC de Memphrémagog et les autres citoyennes et citoyens. Cela est d'abord carrément insultant pour toutes les citoyennes et tous les citoyens qui se sont mobilisés jadis autour de SOS Parc Orford pour en éviter la privatisation. Plus encore, les taxes de toutes les citoyennes et de tous les citoyens du Québec ont été largement mises à contribution pour subventionner les actuelles installations de la Corporation. Cette décision ne donne pas d'avantages sur le plan de l'offre touristique et envoie notamment un drôle de message à l'ensemble de la communauté estrienne. Faudrait-il en empruntant cette logique que dorénavant la Ville de Sherbrooke par exemple impose un tarif aux gens des autres MRC de la région qui viennent fréquenter le boisé Beckett et marcher autour du Lac des nations ? Cette logique d'esprit de clocher tranche avec la solidarité actuelle attendue en ce temps de pandémie.

La renaissance de SOS Parc Orford

Le dernier pan de mes arguments sur le caractère mal avisé de la décision de la Corporation Ski & Golf Mont-Orford est qu'elle vient redonner vie à un mouvement qui a fait ses preuves, SOS Parc Orford. La conférence de presse tenue la semaine dernière par son porte-parole Claude Dallaire en témoigne tout comme la pétition initiée par le citoyen Patrick Lagrandeur qui a récolté plus de 10 000 signatures en moins d'une semaine. Il ne faudrait pas que la Corporation sous-estime les retombées négatives que peut provoquer son entêtement sur sa capacité d'attraction de skieurs et de golfeurs. Les gens votent avec leur pied. Il serait dommage que s'entêter à avoir raison se traduise par un mouvement organisé de désaffection de ses clients.

Changer d'idée, la meilleure solution

Dans les circonstances, la Corporation Ski & Golf Mont-Orford n'a guère d'autres choix que de reculer et de donner son accord à la proposition qui lui a été faite de créer un groupe de travail avec les parties intéressées afin de trouver une solution négociée à ses problèmes d'argent. Pour que cela puisse avoir des chances raisonnables de réussir, cela prend avant tout de la bonne foi et une volonté de sortir des sentiers battus. Il faut cependant constater que jusqu'à maintenant la Corporation n'a pas joué de transparence dans ce dossier. Les arguments avancés la semaine dernière concernant l'érosion de la montagne pour justifier le retard de donner accès à ses pistes cachaient une décision de facturer dorénavant la fréquentation de l'endroit. Ce n'est pas ce qui s'appelle jouer franc jeu et cela ne crée pas de relations de confiance le moins que l'on puisse écrire.

Non seulement ce fut une décision mal avisée et sans vraiment de communications efficaces, mais en plus cela a mis le gouvernement du Québec et la SÉPAQ dans une situation désavantageuse. En ce temps de pandémie, tant nos représentants au gouvernement que nos employés à la SÉPAQ avaient d'autres priorités plus accaparantes que celle de gérer une mauvaise décision de cette corporation. D'autant que cela ne prend pas un doctorat en science politique pour savoir qu'en Estrie où les terres publiques sont rares, ce n'est jamais une bonne décision de privatiser le bien public...


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