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L’avenir de Sherbrooke II : lieu de transition et de passages

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Photo : Que représente pour vous la ville de Sherbrooke?
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 26 juillet 2017      

Que représente pour vous la ville de Sherbrooke? Une belle petite ville de province? Une ville où la qualité de vie prédomine? Une ville à la campagne? Une ville du savoir? Une ville manufacturière? Une ville d'immigration? Une ville sportive? De nombreux choix s'offrent comme réponse à qui cherche à caractériser cette ville de près de 160 000 habitants au sud-est de Montréal à 140 kilomètres plus ou moins.

Si l'on se plonge dans les grands traits qui ont marqué son histoire, la ville de Sherbrooke apparaît comme une ville de passage, un lieu de transition entre un ici et un ailleurs. Plongeons, voulez-vous, dans un rapide survol de l'histoire de Sherbrooke pour comprendre sa nature et nous ne serons guère étonnés de constater cette fluidité de cette trame urbaine. Pas étonnant que Sherbrooke éprouve du mal à se donner une identité forte et une marque distinctive lui permettant de se démarquer des autres villes de même taille au Québec. La Reine des Cantons-de-l'Est a beaucoup de qualités, mais elle a de la difficulté à se trouver une identité. Voyons cela de plus près.

Une périodisation commune à toutes les villes

Toutes les villes du Québec ont connu un parcours similaire que l'on peut regrouper en quatre phases : la pré-industrialisation, l'industrialisation et l'urbanisation capitaliste, la restructuration d'après-guerre et l'entrée dans la modernité et enfin la reconversion sous l'impulsion de la nouvelle économie. Sherbrooke ne fait pas exception même si l'on y retrouve des particularités liées à son statut d'être le maître-lieu d'une région dominée par la tenure libre et son caractère marqué par la présence de loyalistes américains. Ce qui distingue surtout Sherbrooke des autres villes du Québec c'est les flux migratoires sur des terres vierges à l'écart des autres communautés. La mosaïque ethnoculturelle de notre région et de Sherbrooke en sera marquée de façon indélébile.

Sherbrooke et les Cantons-de-l'Est : terre d'immigration et de migrations successives

La murale peinte sur l'édifice à l'angle des rues Wellington Nord et Frontenac du groupe M.U.R.I.R.S intitulée Nékitotegwak signifie en Abénaquis « là où les rivières se rencontrent ». « L'œuvre présente une conception imaginaire de ce qu'était la rivière Magog dans un secteur où séjournaient et naviguaient les Premières Nations attirées par l'abondance de gibiers, de poissons, de fruits sauvages et par l'eau d'érable [...] Les Abénaquis arrêtaient à cette jonction de rivières, y séjournaient et y transportaient leurs canots afin de remonter le canyon de la rivière Magog et pour poursuivre ensuite leur route vers le lac Memphrémagog. » (site Web MURIRS). Dès le début, Sherbrooke fut un lieu de transition pour les tribus amérindiennes et ils n'y établirent aucun pied-à-terre permanent. Un lieu de transition. C'est Gilbert Hyatt qui établira les premiers éléments de la bourgade sherbrookoise en 1802.

À partir de 1783, la grande région des Cantons-de-l'Est est devenue le lieu d'atterrissage de l'expansion des populations de la Nouvelle-Angleterre. Cela, d'autant plus que la révolution américaine de 1776 a laissé en plan de nombreux sujets fidèles à la couronne britannique. En 1812, lors de la guerre entre le Canada et les États-Unis, on retrouve environ 20 000 loyalistes dans les Cantons de l'Est. Cela sera suivi d'un exode d'une partie de cette population vers les États-Unis. Pour la seule année de 1818, on évalue à 4 000 le nombre de personnes ayant quitté la région en direction de l'Ohio, de la Pennsylvanie, des Grands Lacs ou du Haut-Canada. À partir de 1834, la British American Land company détenteur d'un monopole de terres notamment à Sherbrooke, favorisera une immigration provenant des îles britanniques et du nord de l'Europe.

Juste pour l'année 1836, on accueillera 6 000 immigrants. L'arrivée de ces Britanniques aura pour contrecoup le départ de loyalistes qui retourneront pour la plupart aux États-Unis. Puis, à partir des années 1850, ce sera le début d'une occupation du territoire par des francophones, mais qui sera largement marqué par l'émigration massive, entre 1880 et 1920, des Canadiens français vers les usines de textile américain dans le Maine et le New Hampshire. (Ces renseignements sont inspirés de notes que m'avais un jour remises mon ami, aujourd'hui décédé, le professeur Jean-Pierre Kesteman dans le cadre d'une communication que j'ai donnée à l'Université de Montpellier sur l'opinion publique à la fin du 19e siècle. Daniel Nadeau, « Identité nationale ou Identités nationales; L'opinion publique canadienne tronquée » dans Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2010, p. 307-321).

Sherbrooke, lieu de passage, de transition, d'immigration et de migrations

Bref, Sherbrooke et les Cantons-de-l'Est se démarquent par des mouvements de population importants, de migrants d'Europe, des États-Unis et du Québec. Notre ville fut surtout un lieu de passage et de transition pour bien des gens. Jean-Pierre Kesteman écrivait à ce propos le destin différent des immigrants de langue anglaise ou des migrants de langue française : « Après la guerre civile, ces migrants (les loyalistes américains) rejoignent des États plus à l'Ouest. Par la suite, à partir de 1885, c'est l'ouverture de l'Ouest canadien sous l'impulsion de la Politique nationale de John A. Macdonald qui favorise l'émigration vers l'Ouest. Pour ces familles, comme d'ailleurs pour les immigrants d'Europe, l'avenir s'ouvre devant un espace continental vierge en constante progression dit l'espace "de la frontière" qui caractérise l'Ouest américain jusqu'en 1890, l'Ouest canadien jusqu'en 1920. » (Notes de Jean-Pierre Kesteman remises à l'auteur.)

Quant aux Canadiens français, on aurait pu croire que cela se traduirait par une sédentarisation de cette population. Ce ne fut pas le cas. Main d'œuvre à bon marché, les Canadiens français n'ont pu se faire une place. Kesteman le dit bien : « Dans les campagnes, installés dans des terroirs peu favorables à l'agriculture marchande, ils sont voués à la gêne ou à l'endettement, ce qui entraîne leur exode vers les villes industrielles américaines » (Loc. cit.).

Sherbrooke, un modèle d'inachèvement

Mosaïque ethnoculturelle distincte du « melting pot » américain ou du « multiculturalisme canadien », Sherbrooke fut le lieu d'évolutions contradictoires. Un lieu marqué par l'instabilité des communautés présentes qui ont souvent été que de passages. Un lieu qui a été le théâtre d'affrontements et de cohabitation entre les représentants de la culture anglophone et francophone.

Sherbrooke a été un important lieu de développement du capitalisme libéral aux 19e et 20esiècles. Un capitalisme axé sur une intensité de main d'œuvre à bon marché et une capacité d'innovation qui lui permettait de se distinguer. Il y a eu cette présence importante chez nous de la British land american company, enjeu au cœur des revendications des patriotes, qui a non seulement favorisé un certain type d'aménagement urbain, mais aussi une collaboration sans égale du capital britannique et du capital américain dans la construction d'une économie libérale chez nous. Cela a aussi favorisé un modèle unique de collaboration entre une petite bourgeoisie commerçante francophone et le grand capital.

Ce modèle original n'aura pas survécu à l'exode de cette bourgeoisie anglophone vers l'Ouest canadien et vers Toronto. Ce qui s'est par exemple traduit par la fermeture de la Eastern Townships Bank à Sherbrooke et aujourd'hui devenue la CIBC torontoise. Après les guerres, Sherbrooke est devenue une économie de succursales des industries américaines et a également vu se développer une économie de services dans la foulée de la création des États-providence canadien et québécois. Tout cela a pris fin dans les années 1980 où depuis Sherbrooke se cherche une nouvelle identité économique en s'appuyant sur l'économie du savoir ou sur les nouvelles technologies. C'est là que nous sommes toujours aujourd'hui. Sans avoir encore réussi à nous trouver une identité dans ce nouveau monde des réseaux, Sherbrooke constitue encore aujourd'hui un lieu de transition et de passages.


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