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L’appel de la race


Malgré les débats sémantiques sur la question, le racisme existe chez nous comme ailleurs. De manière générale, les gens différents n'ont pas le même traitement que la majorité informe et standardisée que constituent les majorités dans tous les pays du monde.
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Photo : Le chanoine Lionel Groulx
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 10 juin 2020      

En 1956, le chanoine Lionel Groulx, fer de lance du nationalisme québécois au 20e siècle, publiait chez Fides un roman intitulé : L'appel de la race. Rien à voir avec le sens que l'on donne à ce mot aujourd'hui dans la foulée de la montée des tensions raciales aux États-Unis. La race évoquée par le bon vieux chanoine Groulx était la race canadienne-française. Cette race de parlant français blanc soumis à l'impérialisme américain et vivant sous l'emprise de la couronne anglaise.

Depuis, le mot race est tombée en désuétude ou, s'il est utilisé par certains, il fait l'objet d'une saine suspicion. En 2020, nous ne faisons quand même plus de distinction entre les humains selon la couleur de leur peau ou leurs origines. Pourtant, rien n'est plus présent aujourd'hui que l'essentialisation des races dans un combat contre le racisme. Les minorités visibles de couleurs utilisent la race comme catégorie distinctive pour revendiquer des droits légitimes, mais ils instrumentalisent le concept en faisant preuve de leur profonde méconnaissance de l'histoire du Québec et du Canada. Réflexions sur le racisme aujourd'hui en terre québécoise et canadienne.

Le roman de Groulx

Revenons un instant si vous le voulez bien à ce roman de Lionel Groulx au titre raciste : L'appel de la race. Dans ce roman, Lionel Groulx raconte l'histoire de Jules Lantagnac qui, marié à une anglophone catholique, Maud Fletcher, et père de quatre enfants soit William, Virginia, Nellie et Wolfred, décide de retourner dans son hameau d'enfance ; Saint-Michel de Vaudreuil.

Après ses études en droit, ce fils de paysans s'installe à Ottawa où il fréquente la bourgeoisie d'affaire anglophone. Son ami et confident, le père Fabien, figure littéraire de Lionel Groulx, l'encourage à retrouver ses racines ancestrales. Pour le père Fabien, l'état végétatif dans lequel l'identité française de Jules se trouve est, en partie, dû aux trente années de bonne entente faisant suite au pacte fédératif de 1867. Avec le voyage de Jules, sa vraie personnalité se libère.
Le nœud de la trame narrative du roman de Groulx se situe dans le chevauchement du point de vue domestique et du social.

Sur le plan domestique, Jules tente de franciser sa famille. Rapidement, Maud, avec la pression de la famille Fletcher, s'oppose au projet de son époux conséquemment, les tensions dans le milieu familial s'accentuent.

Du point de vue social, Jules est élu député en Ontario. Il devient l'un des personnages importants dans la résistance franco-ontarienne au règlement XVII. Celui-ci, voté en 1912 par des conservateurs du premier ministre James Whitney, visait à interdire l'enseignement du français dans les écoles de l'Ontario. Jules doit en ce sens prononcer un discours en chambre le 11 mai suivant. Sa femme, Maud Fletcher menace de le quitter s'il prononce ce discours, Jules Lamatagnac, qui s'est par ailleurs référé au père Fabien qui lui a exposé sa théorie du départ volontaire, se lève, poussé par une force inconnue, et prend la parole en chambre. Inévitablement, Jules reste seul avec deux de ses enfants ; Virginia le quitte pour le couvent tandis que Wolfred, avec lequel il accomplit pleinement son œuvre, abandonne son mariage prévu avec une anglophone et change son nom pour André. La race canadienne-française se libère donc du joug de la race canadienne-anglaise. Ainsi donc était comprise la race par Groulx, Français contre Anglais.

Dans l'œuvre de Groulx, le nationalisme canadien-français ignore totalement les autres races que la race canadienne-anglaise. Point de place dans sa pensée riche et mobilisatrice de la jeunesse pour d'autres races sauf les juifs. Pourtant, certains se sont empressés d'assimiler la pensée et l'œuvre de Groulx au racisme et même à l'antisémitisme.

Le racisme est bel et bien présent

Ce rappel à Groulx ne visait qu'à faire la démonstration par un pan de l'histoire récente du Québec que le racisme, même si les manifestations de ses conséquences discriminatoires existent, n'a jamais occupé une grande place au Québec. Ici, c'est la haine de l'anglais qui avait cours. Ces dernières décennies, cette haine de l'anglais a pris le visage d'un discours anti-charte des droits canadiens et d'une dénonciation du multiculturalisme à la canadienne. Pour les tenants du discours national, ce sont cette charte et ce multiculturalisme qui sont les outils des Trudeau, père et fils, pour faire disparaître la nation québécoise de parlant français pour en faire l'une des minorités au même titre que les communautés déjà présentes au Canada que sont les Ukrainiens, les Sikhs, les Haïtiens, les Jamaïcains ou encore les ressortissants musulmans de l'Afrique du Nord francophone.

Pourtant, malgré les débats sémantiques sur la question, le racisme existe chez nous comme ailleurs. De manière générale, les gens différents n'ont pas le même traitement que la majorité informe et standardisée que constituent les majorités dans tous les pays du monde. Ainsi, on peut noter de la discrimination à l'emploi si l'on est musulman, handicapé, autochtone, femme ou détenteur d'un casier judiciaire. Il ne faut pas noyer le poisson, les personnes racisés sont victimes de discrimination plus que les autres. Cela se voit dans les statistiques de chômage, les refus de location d'appartement, le peu de familles interraciales, etc. On ne se fera donc pas chicanier et on ne se fera pas protagoniste d'une guerre sémantique à propos de l'existence ou non chez nous d'un racisme systémique.

Entendons-nous pour dire qu'il existe au Québec, au Canada des germes de racisme et que nous avons le devoir de les combattre parce que dans nos valeurs cardinales il y a celle toute simple qui reconnaît à tous les humains les mêmes droits quelque soit leur couleur, leurs croyances, leur pays d'origine. Il faut que cela se traduise dans les faits et dans la vie quotidienne.

Je suis grand-père de petits-enfants métissés, l'un de descendance franco-québécoise gabonaise et deux autres de descendance franco-québécoise mexicaine. Ces petits enfants que j'aime comme un grand-père aime ses petits enfants ont le droit de vivre dans un Québec qui ne les discriminera pas ni à l'emploi ni dans leur vie tout court.

L'incompréhension

S'il n'y a pas de désaccord entre mes positions exprimées ici et celle de nombreux militants actifs contre le racisme, il y a à tout le moins une incompréhension ; celle de méconnaître l'histoire du Québec et du Canada. À cet égard, assimiler les Québécois français de souche à des conquérants et des grands prêtres du colonialisme parce qu'aujourd'hui nous contrôlons un demi-État, celui du Québec, c'est faire l'impasse sur un fait tout simple que cette population a aussi été colonisée et sous la férule de maîtres extérieurs à sa nation.

Ce n'est pas faire un réquisitoire nationaleux que de vouloir que le passé colonial de la population du Québec soit reconnu pour ce qu'il fut ; une grande souffrance qui n'a jamais été reconnue malgré les tentatives nombreuses de reconnaître le peuple québécois comme une nation dans la fédération canadienne. Dire cela c'est dire que si l'on s'adonne à la lecture des statistiques du passé, on pourra constater que les chiffres d'aujourd'hui qui démontrent l'existence des manifestations du racisme dans des conséquences concrètes pour les communautés racisées d'aujourd'hui s'appliquaient à la collectivité francophone d'hier. Collectivité pourtant majoritaire sur le territoire du Québec. Ce qui peut donner de l'espoir si l'on se donne la peine de mesurer le chemin parcouru et qui prouve que si l'on prend le taureau par les cornes nous serons capables ensemble d'améliorer la situation.

Le Québec sait faire quand il se donne la peine. Québécois et Québécoises de toutes origines, donnons-nous la main pour faire du Québec une terre qui aura extirpé le racisme de sa vie. C'est à cette collectivité formée de toutes les personnes qui se reconnaissent dans le Québec qu'il faut faire appel pour former une « race nouvelle québécoise pure métissée ». C'est le sens qu'il faut donner aujourd'hui à l'appel à la race...


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