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Expliquez-vous ou taisez-vous!

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Photo : Malgré la modernité avancée du Québec, nous ne sommes pas à l’abri de régressions majeures et du retour à grand galop de nos pires travers.
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 8 novembre 2017      

Le Québec contemporain a connu de grands progrès depuis ses origines. Les historiens peuvent bien débattre des « années de noirceur » ou du potentiel libérateur que fut pour nous la « Révolution tranquille », il n'en reste pas moins que nous avons grandi collectivement. La preuve en est l'hommage bien senti rendu au grand troubadour montréalais, Leonard Cohen, lors du dernier gala de l'ADISQ. Enfant du sérail de la communauté juive du West Island, le Québec tout entier a souligné que Cohen faisait partie de l'héritage du Québec contemporain. Cela nous change de l'antisémitisme rampant des années 30 où l'on torpillait d'œufs les vitrines des commerçants juifs de Montréal.

N'empêche que malgré la modernité avancée du Québec, nous ne sommes pas à l'abri de régressions majeures et du retour à grand galop de nos pires travers. La résurgence d'un impensé politique qui vient brouiller nos horizons. C'est un peu ce qui nous arrive ces jours-ci avec le feuilleton interminable des enquêtes sur les enquêtes liées à la corruption et à la collusion dans le cadre du financement des partis politiques au Québec. Nées d'une bonne intention, la création de l'escouade de l'UPAC, la mise sur pied de la Commission Charbonneau et la révision des lois concernant le financement des partis politiques sont en train de faire sombrer le Québec dans une comédie de mauvais goût. Nous sommes à réduire à néant des décennies d'efforts pour faire du Québec une société moderne et démocratique à l'avant-garde des États en matière de justice sociale. Ce n'est pas rien. Plongée dans les recoins sombres de notre vie politique.

Une perception tronquée

Imaginez-vous dans la peau d'un visiteur d'un autre monde et que votre premier contact avec les habitants de cette curieuse petite planète bleue soit de prendre connaissance de l'actualité politique québécoise des dernières semaines. Que penseriez-vous du Québec? Percevriez-vous cette société à sa juste valeur? Bien évidemment, non.

En moins d'une semaine, les machettes ont été les suivantes : La Sureté du Québec perquisitionne dans les locaux du SPVM; Le député Guy Ouellet arrêté par l'UPAC pour fuites de documents; Guy Ouellet et Annie Trudel se réfugient dans les locaux de Cogeco pour fuir la police; Annie Trudel accuse l'UPAC et l'AMF de collusion dans l'octroi de certificat de bonne moralité aux entreprises; Guy Ouellet accuse l'UPAC d'un coup monté pour l'arrêter et clame son innocence; Le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, somme l'UPAC de porter des accusations ou de s'excuser; L'UPAC déposera un dossier au DPCP qui mènera à des accusations; Pierre Moreau prend position contre les propos de Jacques Chagnon et l'accuse de raccourcis avec les faits; Il n'y aura pas de commission parlementaire pour entendre Guy Ouellet; L'AMF crie à son innocence et tutti quanti. Surréaliste. Ne trouvez-vous pas que le Québec mérite mieux de sa classe politique que cet épisode burlesque?

S'attacher aux faits

Si les faits importent pour vous. Il est clair que l'on ne commentera pas le fond de cette affaire. Pour la simple et unique raison que nous ne connaissons pas les faits. Nous ne savons pas si le député Guy Ouellet a ou non eu en sa possession des documents sensibles de l'enquête Mâchurer et s'il est responsable de leurs fuites auprès du bureau d'enquête de Québecor Média. Nous ne savons pas non plus si ce n'est pas l'UPAC elle-même qui a fait fuir ces documents dans une stratégie machiavélique. En fait, nous ne savons rien d'autre qu'il y a une fuite de documents sensibles. Nous savons aussi que l'UPAC mène une enquête sur cette fuite. Bref, nous ne savons rien de toute cette affaire. Ce qui n'empêche pas experts et commentateurs d'interpréter les événements tout en prévenant qu'ils ne savent rien.

Les faits connus aussi c'est qu'il y a eu collusion et corruption entre des villes et des firmes d'ingénieur et de construction dans plusieurs grandes villes du Québec, dont Montréal et Laval. Nous savons aussi que les méthodes de financement du Parti libéral du Québec a prêté flanc à de nombreuses critiques et que de nombreuses questions sont demeurées sans réponses. Même la vénérable Commission Charbonneau n'a pu faire la lumière sur cette question sensible d'entre toutes : Y avait-il des liens ou non entre le financement du Parti libéral du Québec et l'octroi de contrats du ministère des Transports et d'Hydro-Québec à des firmes privées? Plutôt que de jeter la lumière sur cette question, le rapport de la Commission Charbonneau a obscurci la question par la mésentente entre ses deux commissaires. De nombreuses années plus tard, nous sommes toujours à patauger dans ces marécages politico-financiers. Il est temps que nous passions à autre chose.

Sortir des ornières du passé

Pour sortir de ce marécage, nous avons besoin de réponses à nos questions. Je crois qu'aujourd'hui il est plus que temps de sortir des ornières du passé. Nous devons faire confiance à nos institutions. Le DPCP, l'UPAC, l'Assemblée nationale, l'AMF, les entreprises privées faisant affaire avec l'État. Quand la confiance disparaît, c'est le lien social qui s'évanouit. Je veux bien faire confiance à L'UPAC et à tous les autres intervenants. Cela demande cependant des changements importants de cap de leurs façons de faire. Ainsi, les ténors des principales formations politiques devraient cesser de mettre en doute l'intégrité de nos institutions selon le besoin du jour pour créer un effet de toge dans les médias. L'UPAC devra mettre autant d'énergies à finir ses enquêtes sur les filous qui nous ont volés qu'elle en met à pourchasser les auteurs des fuites de document de ces mêmes enquêtes. Le gouvernement Couillard devrait cesser de se mettre la tête dans le sable et accepter que son intégrité soit questionnée et aussi questionnable. Dans un tel contexte, on comprend mal l'obstination du gouvernement à refuser que les grands serviteurs de l'État en matière de lutte à la corruption comme l'UPAC ne soient pas nommés par l'Assemblée nationale au deux tiers comme l'exigent les partis d'opposition unanimement. Même chose pour mettre en place une structure de surveillance démocratique afin de contrôler les activités de l'UPAC.

Les beaux et grands discours théoriques sur la séparation des pouvoirs que nous livre le premier ministre Couillard témoignent de sa connaissance des grands enjeux de la théorie constitutionnelle, mais pas de sa sensibilité politique. Guy Ouellet et sa comparse Annie Trudel ont lancé des accusations graves et sans précédent contre l'UPAC et l'AMF. Ils devraient comparaître pour étayer ces accusations ou les retirer. On ne peut dans une société démocratique comme la nôtre, salir des réputations impunément sans rendre des comptes autrement que par médias interposés. Sinon, c'est l'anarchie. La fin du lien de confiance.

Parler des vraies affaires

J'ai envie que nous nous disions toutes et tous que nous méritons mieux que le cirque actuel de l'UPAC et de ses protagonistes. Ce pays qui a refusé de naître a devant lui de grands enjeux quant à son avenir. Parmi ceux-ci, il y a l'immigration, la place du Québec dans le nouveau Canada postnational de Justin Trudeau, l'impact des nouvelles pratiques d'affaires en matière de commerce sur notre capacité de taxer et de payer pour nos services et programmes, la fiscalité, l'impact de l'intelligence artificielle sur l'avenir de nos emplois, la disparition annoncée de nos médias écrits, l'affadissement de la culture québécoise et de la langue française, les performances de notre système d'éducation, les changements climatiques et leur effet dans nos vies, le vieillissement de la population et la viabilité de notre système de santé pour ne nommer que les plus importants.

Les Québécoises et Québécois sont profondément exaspérés de cette saga politico-juridique autour de la collusion et de la corruption liées au financement des partis politiques au Québec. Les lois ont été changées. Ce qui s'est produit, si cela s'est produit, n'existe plus. Que la police et les tribunaux fassent leur job et, s'il l'on a des preuves que l'on juge les filous et les bandits et qu'ils aillent en prison. En attendant que la justice fasse son travail, pouvons-nous parler et débattre des vrais enjeux du Québec? Quant à celles et ceux qui lancent des accusations à propos de nos institutions et de notre gouvernement, ils devraient avoir le minimum de décence d'étayer leurs accusations ou de les retirer. Expliquez-vous ou taisez-vous!


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