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  CHRONIQUEURS / L'Agora

Que sommes-nous devenus ?

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 6 janvier 2021      

Première chronique de 2021. Je veux marquer les consciences en ce 6 janvier en posant la question qui me turlupine depuis l'arrivée de cette pandémie qui a été plus un révélateur de ce que nous sommes qu'un prétexte de véritable transformation. Depuis l'établissement des Français dans une Nouvelle-France qui n'était autre que la terre des Amérindiens déjà présents. La population vivant sur ce territoire a vécu de nombreux événements qui l'ont façonnée et fait ce qu'elle est maintenant. Chercher à comprendre le Québec et ce qu'il est devenu est un exercice utile en ce début de 2021. Je vous y convie dans cette chronique qui cherche à faire le point sur ce que nous sommes aujourd'hui.

La sortie du religieux

Les plus jeunes n'en ont rien à faire, mais le Québec est bien le fils de l'Occident. Il en emprunte les grands pans de son histoire et de son évolution. En Occident, l'Histoire avec un grand H témoigne d'un grand virage culturel. Une société d'humains regroupés autour de son église et de ses règles vivant en communauté. Issu d'une société où les gestes du quotidien étaient jugés au regard des normes et des règles édictées par l'Église, l'Occident s'est matérialisé si l'on peut dire, la société est devenue matérialiste où le geste quotidien est jugé à l'aune de normes édictées par le marché. Ce combat a eu la Révolution française comme carburant idéologique alors que la Révolution anglaise lui en a fourni les moyens matériels par le machinisme et la vapeur. Citons un auteur qui décrit bien ce phénomène : « On parle ici de deux révolutions, la révolution politique française et la révolution industrielle anglaise. La première a mis fin à la légitimité que les couronnes d'Europe allaient symboliquement chercher à Rome ou au-delà si nécessaire ; elle a créé l'homme libre de sa destinée individuelle ; elle a fait passer la science d'un rôle purement utilitaire et périphérique à celui d'ordonnateur du monde, ce qui était jusqu'à ce jour, une prérogative divine. La deuxième a libéré des forces mécaniques multipliant la production, faisant passer l'Occident d'un état de raretés et de pénuries à celui de l'abondance. » (Gaétan Nadeau, Angus. Du grand capital à l'économie sociale ─ 1904-1982, Montréal, Fides, 2020, p. 227.)

La création d'un marché...

Ainsi, la création d'un marché, d'un peuple émancipé de Dieu a donné lieu à la création de la démocratie par un libéralisme militant. Vous comprendrez que cela ne fut pas fait sans histoires au pluriel. Une lutte s'est engagée entre tenants d'une société de Dieu ou du marché. Pour illustrer ce combat sans fin, prenons l'exemple de la lutte entre les gibelins et les guelfes. Les guelfes et les gibelins sont deux factions médiévales qui s'opposèrent militairement, politiquement et culturellement dans l'Italie des XIIe et XIIIe siècles. À l'origine, elles soutenaient respectivement deux dynasties qui se disputaient le trône du Saint-Empire : la pars Guelfa appuyait les prétentions de la dynastie des Welf et de la papauté, puis de la maison d'Anjou, la pars Gebellina, celles des Hohenstaufen, et au-delà celles du Saint-Empire. (Source Wipidédia)

Cette querelle a perduré jusqu'à nos jours si l'on veut. Au début du 20e siècle, l'expression gibelin est utilisée par le Vatican comme une épithète injurieuse. Pour celui-ci, Gibelin signifie être libéral. Franc-maçon, démocrate, républicain, matérialiste. Des gens qui font disparaître Dieu dans l'explication des choses et l'inexorable poussée de la raison scientifique. Sous Pie X, il est de bon goût de se déclarer guelfe pour décrire ceux qui sont attachés à la présence de Dieu et de sa parole dans la vie quotidienne. Bref, le combat de l'Occident, si on veut le résumer dans un seul trait grossier c'est Dieu contre le Marché.

Au Québec, il y a eu des gibelins et des guelfes bon teint...

On aime bien à raison, je crois, se représenter le Québec comme une lutte entre l'Église et l'état. Un combat entre conservateurs et libéraux sous le fond d'un nationalisme bon teint. Cela s'explique par la conquête britannique de la Nouvelle-France. Cela a créé parmi nous une dualité qui a perduré jusqu'à aujourd'hui. L'auteur Gaétan Nadeau écrit à ce sujet dans son livre sur Angus que : « Le Québec vit une étrange dualité de 1759 à 1945. Au lendemain de la conquête, il y a partage du territoire et des pouvoirs. Les autorités militaires et ecclésiastiques siègent à Québec ; le fleuve et les ports sont confiés aux gens d'affaires britanniques ; les francophones se voient confier la terre et l'hinterland. Les francophones sont donc sur leurs terres lorsque la Révolution française éclate en 1789. Bien peu d'intellectuels peuvent en assurer le relais. » (Gaétan Nadeau, op. cit., p. 227-228.)

Il y eut bien sûr l'imprimeur Fleury Mesplet, un franc-maçon qui a semé le germe d'un libéralisme qui s'épanouira avec la rébellion de 1837-1838 sous l'impulsion de libéraux radicaux regroupés autour de l'Institut canadien et des journaux. Mais c'est l'arrivée du machinisme et de l'industrialisation qui donnera au Québec la force de rompre avec l'Église et ses enseignements. Grâce aux syndicats et à de libres penseurs, la table était mise pour que la modernisation du Québec prenne forme sous le visage de la Révolution tranquille et son grand rêve de faire du Québec un pays.

Cela ne s'est pas fait sans heurts. Il y a eu un combat entre divers nationalismes, celui conservateur d'un Henri Bourassa ou d'un Lionel Groulx et l'autre plus émancipateur de jeunes Québécois combattant l'Église comme les Pierre Elliott Trudeau, Jean Marchand, Gérard Pelletier et René Lévesque. De cet affrontement est né celui qui a divisé le Québec entre fédéralistes et souverainistes. Visage plus familier du Québec pour plusieurs de nos contemporains.

Les nouveaux curés

Une image contenant texte, intérieur, pièce d'échecDescription générée automatiquementÀ la faveur de ce combat et des échecs souverainistes, une nouvelle configuration des lieux s'est dessinée, celle mettant en scène les progressistes et les conservateurs. Le Canada s'est transformé et est devenu pour plusieurs une patrie de droits et de libertés pour un humain désincarné de ses racines et se voulant un citoyen du monde. Cette nouvelle fièvre pour les droits des uns et des autres et pour la défense des minorités s'est travestie en lutte contre les ismes et l'homme blanc qui en était l'auteur. Ainsi, le racisme, le machisme, le colonialisme et tous ces mots en isme sont devenus les ennemis du moment. Cela a donné lieu en conjonction avec l'émergence des nouveaux médias en une chasse aux sorcières permanente des gens dits progressistes et des vilains conservateurs blancs et sans-cœur. Les nouveaux curés de notre époque pourchassent sans relâche tous ces exploiteurs blancs qui cherchent à se donner bonne conscience. Dans cette nouvelle configuration des lieux, le Québec n'est pas unique, c'est un phénomène occidental. Je prends à témoin le dernier essai du philosophe Pascal Bruckner intitulé : Un coupable presque parfait. La construction du bouc émissaire blanc paru en 2020 chez Grasset à Paris : « La chute du mur de Berlin a plongé les gauches européennes en plein désarroi. Sur le champ de bataille des idées, le progrès, la liberté et l'universel ont fait place à une nouvelle triade directement importée des États-Unis : le genre, l'identité et la race. Les progressistes se battaient jadis au nom du prolétariat, du tiers-monde et des damnés de la terre. Trois discours ─ néoféministe, antiraciste et décolonial ─ désignent désormais l'homme blanc comme l'ennemi : son anatomie a fait de lui un prédateur par nature, sa couleur de peau un raciste, sa puissance un exploiteur de tous les "dominés". » (Pascal Bruckner, Un coupable presque parfait. La construction d'un émissaire blanc, Paris, Grasset, 2020, p. 18)

Dans cette histoire occidentale où le blanc devient le pelé et le galeux de l'histoire, le Québec risque de perdre gros. Nous sommes une petite nation majoritairement, bien que non exclusivement blanche, et le nouvel état des lieux nous condamne à nous taire au nom de notre blancheté. Nos droits légitimes, nos combats historiques ne sont plus vus que comme un reliquat de l'exploitation coloniale de nos cousins lointains. C'est une nation sans voix et sans légitimité aux yeux des soi-disant progressistes que nous sommes devenus...



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