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On décide chez nous et chez vous

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 17 mai 2023      

Nous sommes incroyables au Québec. On débat entre nous en disant une chose et son contraire et s'on étonne que nos voisins aient de la difficulté à nous suivre. Pas étonnant que nous sommes vus comme des enfants gâtés par le Rest of Canada (ROC).

Cela est plus apparent que jamais dans le faux débat démagogique sur l'initiative du siècle qui veut faire du Canada une nation de 100 millions d'habitants d'ici l'an 2100. Les souverainistes, toujours en mal de trouver une faille permettant de recréer l'indignation collective pour mousser son projet, n'ont pas tardé de s'emparer de toutes les tribunes pour y faire valoir une théorie du complot des élites canadiennes. On y voit une tentative d'assimilation de la nation québécoise et de la mise en œuvre avec succès du rapport de Lord Durham du 19e siècle. N'en jetez plus la cour est pleine. Réflexions sur un faux débat alimenté par des démagogues.

L'enjeu des flux migratoires

Au cœur de cette diatribe, il y a une question majeure qui est celle de l'immigration. L'immigration est devenue un enjeu majeur au 21e siècle pour toutes les sociétés puissantes et riches. Nous n'avons qu'à constater ce fait en Europe ou aux États-Unis qui peinent à gérer leur frontière au sud bordant le Mexique.

À l'heure de la mondialisation, les migrations sont devenues l'un des vecteurs de transformation socio-économique et des relations interétatiques. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), créée en 1951, estime qu'il y a environ 272 millions de migrants internationaux, soit 3,5 % de la population mondiale. Cela crée une tendance forte à une plus grande mixité des populations dans les pays riches au cours des prochaines années. Tous les pays sont confrontés à des problèmes de gestion de leurs frontières. Au cours des dernières années, les débats concernant les migrants et les questions d'immigration sont devenus sources de tensions dans les pays occidentaux et sont même largement responsables de la montée d'une droite politique nationaliste, xénophobe et même raciste. Le Québec et le Canada ne font pas exception à cette tendance lourde en Occident et cela se traduit par des débats sur la question de l'immigration. Cela à une consonance particulière pour le Québec qui veut conserver ses traits distinctifs culturels comme nation française en Amérique. Le Canada pour sa part avec sa politique de multiculturalisme et de diversité est le pays le plus accueillant sur la planète pour les migrants. Pas étonnant que l'idée avancée par Century initiative de faire du Canada un pays de 100 millions de personnes en 2100 soulève des vagues au Québec. Chez nous, cela se double par une théorie complotiste attribuant au Canada la volonté de faire disparaître le Québec. Un peu de calme mesdames et messieurs, ce n'est pas cela la question. Colporter de telles insanités c'est de la pure démagogie.

Maîtriser l'enjeu de l'immigration dans la société canadienne

Au risque d'écrire une évidence, rappelons que le Québec n'est pas un pays. Nous vivons au Canada. C'est le Canada qui est le maître d'œuvre de la progression de sa population. La force du nombre est ce qui fait la force d'un pays, d'une nation. Nous n'avons qu'à voir la force de la Chine, de l'inde et du Brésil. Dans ce contexte, il n'est guère étonnant que lorsque des gens réfléchissent à l'avenir du Canada, ils puissent penser que l'augmentation de la taille de la population canadienne est une voie possible pour assurer une présence forte du Canada dans le monde.

Ce qu'il faut savoir c'est que le Canada a accepté de partager sa responsabilité de choisir son immigration et les niveaux de population qu'il accepte avec le Québec comme une forme de reconnaissance tangible du caractère national du Québec. Cette politique d'immigration partagée avec le Québec a été inaugurée en 1978 entre le gouvernement de René Lévesque du Parti québécois et du gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. Les intellectuels de l'époque conçoivent d'ailleurs mal que le gouvernement Lévesque ait pu s'entendre avec le gouvernement Trudeau. L'entente intervenue permet au Québec d'accroître ses pouvoirs en matière d'immigration. Les immigrants indépendants seront désormais choisis par le Québec avec approbation définitive par le Canada. Par cette entente administrative, le Québec obtient un « statut particulier sectoriel » qui lui permet d'exercer une meilleure maîtrise de son immigration et de son caractère distinctif en Amérique du Nord. Cette entente a été renforcée dans la foulée de l'échec de l'accord du lac Meech alors que l'entente McDougall-Gagnon-Tremblay venait donner des pouvoirs accrus et mieux définis en matière d'immigration. On ne parle pas assez de cette entente et de sa portée.

Entente McDougall-Gagnon-Tremblay

L'entente McDougall-Gagnon-Tremblay consiste en une entente où le contenu et les objectifs sont définis précisément. À l'article 1, on précise les quatre domaines de l'Accord :

  • la sélection des personnes qui souhaitent s'établir au Québec à titre permanent ou temporaire ;
  • leur admission au Canada ;
  • leur intégration à la société québécoise ;
  • la détermination des niveaux d'immigration à destination du Québec.

L'article 2 établit un nouvel objectif important pour le Québec : préserver le poids démographique du Québec au sein du Canada et assurer une intégration des immigrants dans cette province, qui soit respectueuse de son caractère distinct. Pour atteindre cet objectif, il a fallu charger officiellement le Québec de recommander le nombre d'immigrants qu'il souhaite accueillir, faire en sorte que le nombre d'immigrants soit proportionnel à la population de la province, et confier à cette dernière la responsabilité de tous les services d'intégration, plus particulièrement celui d'offrir aux résidents permanents les moyens d'apprendre la langue française.

Le Canada demeure responsable des normes et objectifs nationaux relatifs à l'immigration, de l'admission de tous les immigrants, ainsi que de l'admission et du contrôle des visiteurs. L'admission des immigrants peut vouloir dire l'application des critères relatifs à la criminalité, à la sécurité et à la santé, en plus du traitement administratif des demandes et de l'admission physique aux points d'entrée du Canada. Le Québec est responsable de la sélection, de l'accueil et de l'intégration des immigrants à destination du Québec, et le Canada s'engage à ne pas admettre au Québec les immigrants indépendants ni les réfugiés qui ne répondent pas aux critères de sélection du Québec, sauf en ce qui concerne l'arbitrage des revendications du statut de réfugié présentées par des personnes se trouvant déjà au Canada.

Dans cet accord Canada-Québec, le Canada s'engage, comme c'était le cas dans le cas de l'Accord du lac Meech, à permettre au Québec de recevoir un pourcentage du total des immigrants reçus au Canada égal au pourcentage de sa population par rapport à la population totale du Canada, avec le droit de dépasser ce chiffre de 5 % pour des raisons démographiques. Les deux parties s'engagent plutôt à poursuivre des politiques qui leur permettent d'atteindre cet objectif. Bien que l'Accord n'en fasse pas mention, de telles politiques pourraient, pour le Canada, inclure la mise en place à l'étranger - notamment dans les pays francophones - de suffisamment de ressources pour traiter les demandes d'immigration, ainsi que l'établissement d'objectifs de traitement plus élevés pour de tels bureaux.

Le Canada continue d'établir chaque année les niveaux d'immigration en tenant compte de l'avis du Québec relativement au nombre d'immigrants que ce dernier désire recevoir. Pour la première fois, un calendrier officiel de consultation est établi. Conformément à ce calendrier, le Canada doit informer le Québec, avant le 30 avril de chaque année, des options à l'étude relativement aux futurs niveaux d'immigration, en les répartissant entre les diverses catégories d'immigrants. Le Québec, quant à lui, fera connaître au Canada, avant le 30 juin de chaque année, le nombre d'immigrants qu'il compte accueillir au cours de l'année ou des années à venir, en les distribuant également en catégories. À la suite de ce processus, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le ministre fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté doit déposer un rapport annuel aux deux Chambres du Parlement avant le 1er novembre si le Parlement est en session, ou dans les 30 jours suivant la reprise des travaux de l'une ou l'autre des deux chambres. Ce rapport devra contenir le détail des niveaux d'immigration pour l'année à venir.

Des politiciens en défaut du respect de nos lois

Ce que l'on comprend à la lecture des termes de l'entente Canada-Québec signée par mesdames McDougall et Gagnon-Tremblay en 1991, c'est que cette entente n'est pas respectée ni par le gouvernement du Québec ni par celui du Canada. Dans ces conditions, faut-il s'étonner que ce dossier fasse l'objet d'autant de démagogies ? Il faut dire également que le Canada ne porte pas seul la responsabilité de cet échec du dialogue en matière d'immigration.

La volonté des élites québécoises et du gouvernement Legault de se comporter comme si le Québec était un pays et d'ignorer le Canada nous coûte cher et pourrait même à terme contribuer à notre disparition en tant que nation distincte avec un poids politique en Amérique du Nord. Moi plutôt que voir un complot du Canada pour nous faire disparaître, je vois plus les manifestations concrètes de l'absence de l'intérêt du Québec pour le Canada. Il faut mettre fin à cette politique de la chaise vide pratiquée par le Québec et renouer le dialogue avec le Canada sur l'enjeu de l'immigration et sur plusieurs autres. On ne peut pas décemment vouloir tout décider chez nous tout en disant aux Canadiens que l'on veut décider chez eux. En politique canadienne, il n'y a pas de place pour l'idée on décide chez-nous et chez vous...


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