Les statistiques de mortalité infantile au Québec à la fin
du 19e siècle et au début du 20e siècle sont dramatiques.
En 1899, près de 27 % des bébés nés à Montréal décèdent avant l'âge d'un an;
près de 50 % dans la ville de Québec.
En 1919, soit 20 ans plus tard, on compte 153 décès de nourrissons par 1000
naissances en
moyenne dans toute la province.
À l'ère de l'industrialisation, les villes ont de la
difficulté à s'adapter à l'accroissement exponentiel de la population urbaine :
« dépourvues d'installations sanitaires adéquates, de systèmes
d'évacuation des eaux d'égout et d'infrastructures d'approvisionnement en eau
potable, les villes sont vite devenues des foyers propices aux maladies ». Les maladies infectieuses telles que la diphtérie, la variole, la scarlatine, la
typhoïde, la rougeole et la tuberculose font énormément de ravages.
La maladie se propage d'un groupe à l'autre, peu importe l'étendue géographique,
au gré des contacts.
Un autre ennemi est la gastroentérite causée par le lait de vache
contaminé. Tout le processus d'approvisionnement est insalubre, de la traite
des vaches dans les campagnes environnantes au transport sans
réfrigération en passant par les bidons non désinfectés: « Le lait contient du fumier, de
l'urine, des poils, des poux, des vers, du pus et beaucoup d'autres saletés.
[...] 90 % du lait vendu par les fermiers est un aliment sale, contaminé et
dangereux... Un véritable bouillon de culture! »
Enfin, les accidents causent également des décès prématurés.
À la ville, la cohabitation des chevaux, des voitures et des piétons n'est pas
harmonieuse : les enfants sont happés par une voiture ou même éjectés d'une carriole
lorsque le cheval prend peur. À la campagne, les noyades dans les puits, dans des
barils servant à recueillir l'eau de pluie ou encore dans des abreuvoirs pour
les animaux sont malheureusement courantes.
Les registres de l'état civil : les traces d'une vie trop courte
Les familles connaissent des heures sombres lorsqu'elles sont
confrontées à la mortalité infantile. Le passage sur terre de ces petits est
documenté principalement dans les registres de l'état civil (qui
sont numérisés et disponibles sur BAnQ numérique). Par contre, à moins qu'un
coroner n'ait été appelé sur les lieux d'un décès pour faire enquête, il est
rare de savoir de quelle maladie ou de quelle cause un enfant décède. À l'occasion,
certains curés ou révérends s'aventurent à identifier la nature de la mort :
citons les pasteurs congrégationalistes Charles S. Pedley et Churchill Moore
d'Ayer's Cliff.
Acte de décès d'Irene
Whitehead, décédée à l'âge d'un an et neuf mois de pneumonie lobaire, 1914. Archives nationales à Sherbrooke
(CE501, S135).
Extrait du rapport de coroner
au sujet de Germain Desrochers, 1936, Archives nationales à Sherbrooke
(TL227, S26).
Fils du poète Alfred DesRochers, Germain se noie à l'âge de sept
ans, après avoir glissé en traîneau
jusque dans la rivière Magog. La famille habitait alors la rue George à
Sherbrooke. Le témoignage du constable no 28 est particulièrement
poignant lorsqu'il raconte que « le petit a été trouvé [...] au pied du mur
d'une ancienne usine électrique, rivière Magog. [...] Il y avait sur le haut du
mur l'empreinte d'une main d'enfant sur la glace ».
Deuil familial et mémoire de l'être cher
Si les registres de l'état civil et les rapports de coroners
sont des sources officielles pouvant nous renseigner sur les décès, d'autres
types de documents honorent la mémoire de la personne qui nous a quittés. Les
cartes mortuaires, les photos post-mortem, le papier à lettres bordé de noir
sont des témoins d'un deuil qui prennent place dans les fonds d'archives de
familles. Voici quelques documents, avec les histoires tristes qui les
accompagnent.
Triptyque
de Jannette Lacharité et sa mère, Marie Fortier, vers 1907. Archives nationales
à Sherbrooke (P3). Photographe non
identifié.
Âgée de deux ans, la petite Jannette est si mignonne lorsqu'elle enlace
sa mère. On sent entre elles un fort sentiment d'appartenance. Ce duo
mère-enfant, aux gestes tendres et aux regards doux, représente le noyau
amoureux le plus puissant au monde. Mais leur vie sereine sera troublée par une
séparation brutale : la petite Jannette meurt en 1910, à l'âge de quatre
ans, des suites d'une longue maladie. Cette information est dévoilée dans une
carte postale envoyée par un curé en soutien à la famille.
Il était courant qu'un enfant du même sexe né après un décès se fasse
donner le même prénom. Dans ce cas-ci, l'enfant de sexe féminin à naître se
prénommera Jeannette (avec l'ajout d'un e comme simple distinction entre
les deux fillettes) : elle sera la sœur de Sylvio Lacharité, le grand chef
d'orchestre sherbrookois.
Carte
mortuaire d'Émile Lippé, 1885. Archives nationales à Sherbrooke (P39).
En juillet 1885, le notaire Hubert Lippé, d'Acton Vale, et son épouse,
Arthémise Morier, perdent leur fils Émile, âgé de 22 mois. Arthémise a
confectionné cette carte mortuaire personnalisée, ornée de brins d'herbe séchés
et de cheveux de l'enfant. Au verso se trouve un touchant et triste poème
composé par elle :
Hélas!
loin de votre caresse,
L'Angélique
Enfant s'est enfui!...
Vos
bras s'ouvrent avec tendresse
Mais
ne se ferment plus sur lui!
Cher
Enfant! aujourd'hui notre Ange
Nous
t'avons donné tant d'amour!
Tu
vas nous donner en échange
Ta prière au divin
séjour.
Émile était le quatrième enfant de la famille qui mourait. Trois mois
plus tôt, le couple mettait en terre sa fille de 17 ans. Au cours des années
précédentes, deux autres de leurs filles étaient décédées, l'une à cinq ans,
l'autre à huit mois.
Marie-Anna Stéphanette Masson, [1893]. Archives
nationales à Sherbrooke (P1001, S3, D3, P1). Photo : Ula C. Stockwell,
Danville.
Marie-Anna Stéphanette Masson meurt à
l'âge de cinq mois, le 16 octobre 1893, d'une cause inconnue. À l'époque,
pour les familles qui en ont les moyens, la photographie post-mortem
permet de
conserver un souvenir tangible du défunt : « Ses parents, Joseph Masson [un commerçant de Danville] et
Marie-Anne Grégoire, commandent un portrait de leur fille chez le photographe
Ula C. Stockwell. Stéphanette, probablement vêtue de sa robe de baptême, est
allongée les yeux ouverts sur un fauteuil. La mise en scène laisse l'impression
que la fillette est vivante, telle que ses parents l'ont connue et aimée. Ce couple venait
ainsi de perdre leur quatrième enfant en quatre ans. La mère la suivra dans la
tombe trois mois plus tard, laissant dans le deuil son époux et un seul fils survivant
de deux ans.
La science et l'éducation à la rescousse
Dès le début du 20e siècle, le développement d'une gamme de
vaccins permet de réduire considérablement les morts infantiles associées aux
maladies. L'éducation joue un rôle prépondérant afin d'éliminer les pratiques
insalubres.
Quant à la pasteurisation du lait, bien qu'elle soit de plus en plus
pratiquée au Québec après la Première Guerre mondiale, il faut attendre en 1926
pour qu'une loi soit adoptée afin de la rendre obligatoire.
Enfin, en ce qui concerne les accidents causant la mort d'enfants, les
recommandations des coroners permettent de corriger des situations jugées
dangereuses, évitant ainsi que des situations fatales ne se reproduisent.
Malgré tout, le décès d'un jeune
enfant est toujours un événement difficile, et ce, peu importe les
circonstances. L'injustice d'une vie remplie de potentiel happée trop tôt est
incompréhensible et particulièrement douloureuse. Les collections de souvenirs familiaux
précieusement conservés dans les dépôts d'archives permettent d'apprécier la
vie d'une personne, si courte soit-elle, et l'amour qu'elle a inspiré aux
membres de sa famille.
Ces archives vous intéressent? Prenez
rendez-vous avec nous :
Les Archives nationales à Sherbrooke
sont situées au
225, rue Frontenac, bureau 401
819 820-3010, poste 6330
archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Autres sources que celles citées :
Lachance, André, La vie est si fragile... Étude sur la
mort violente dans les Cantons de l'Est 1900-1950, Sherbrooke, Éditions
GGC, 2002, 209 p.
Musée canadien de l'histoire, James Trépanier, La
vaccination obligatoire dans l'histoire (site consulté le 25 octobre
2022).
Université de Sherbrooke, Bilan du siècle, « C'est
arrivé en 1926 : Adoption par l'Assemblée législative de la Loi sur la
pasteurisation du lait » (site consulté le 25 octobre 2022).
5 Extrait du témoignage de Jean Baptiste Labrecque concernant le décès de Germain DesRochers, 1936. Archives nationales à Sherbrooke (TL227, S26).