Imaginez une petite école en bois, nichée au cœur d'une
campagne québécoise, où une enseignante accueille une poignée d'élèves de tous
âges. Ces écoles, reconnaissables par le clocher ou la croix qui domine
l'édifice, faisaient autrefois partie du paysage rural. Symboles d'un enseignement sobre et
structuré, où une seule personne formait les futures générations, les écoles de
rang étaient des piliers de la vie dans les régions. Bienvenue dans l'univers de
l'enseignement à la campagne!
L'organisation scolaire
Au 19ᵉ siècle, l'accès à
l'éducation est un véritable défi pour les familles rurales, dont l'éloignement
géographique et les ressources économiques plus faibles limitent les
possibilités. Pour le relever, les écoles de rang émergent, offrant un enseignement
de base essentiel aux enfants des campagnes. Ce modèle se consolide avec la Loi
scolaire de 1841, qui établit des commissions scolaires
locales, responsables de l'organisation de l'enseignement au sein des
paroisses.
Le
financement des écoles de rang
en grande partie sur les taxes locales ainsi que sur la contribution des
familles. Ce contexte humble influence directement l'organisation scolaire : une
seule enseignante s'occupe d' une
classe multiniveau où des élèves âgés de 6 à 14 ans apprennent
ensemble.
La normalisation de la
profession

Brevet
d'enseignement de Bernadette Bourget, 1909. Archives nationales à Sherbrooke, fonds
Famille Bourget (P59, S2, D1).
À partir de la création des
écoles normales en 1856, la formation des maîtres et des maîtresses d'école est
normalisée. Ils sont également soumis à l'examen de qualification devant les
Bureaux d'examen, obtenant ainsi le brevet d'enseignement. À partir de 1857,
les commissaires d'école ne peuvent plus embaucher d'enseignants sans diplôme,
sous peine de perdre la possibilité d'obtenir les subventions gouvernementales
prévues. Par ailleurs, les religieux et religieuses qui souhaitent enseigner sont
exemptés de ces examens, mais cette exception sera abrogée en 1894 par le haut
clergé.
Les conditions de vie des
enseignantes
L'enseignante fait également
face à des sentiments
contradictoires. D'une part, elle jouit d'un certain prestige grâce
à son éducation et ses compétences sont souvent sollicitées par les membres de
la communauté, pour écrire des lettres par exemple. D'autre part, elle est parfois
perçue par certains parents comme une étrangère négligeant le travail manuel et
agricole. Pourtant, en plus de l'éducation des enfants, elle a d'autres
responsabilités, notamment en ce qui concerne l'entretien de l'école. Dans
certains cas, l'enseignante vit à l'intérieur de l'école, dans une chambre
séparée, à proximité de laquelle se trouvent une cuisinière et une salle de
bain. Vie personnelle et vie professionnelle s'entremêlent ainsi pour devenir
une réelle vocation. D'ailleurs, les enseignantes risquent de subir l'exclusion
de la profession si elles se marient.
Pour tous ses services,
l'enseignante perçoit environ 100 $ par
année au début des années 1900, alors que ses homologues masculins,
beaucoup moins nombreux, gagnent le double.
Une architecture modeste


Plans
de l'école de rang à Albert Mines dans le canton d'Ascot, planches 2 et 1, vers
1930. Archives nationales à Sherbrooke, Collection de petits fonds d'origine
privée (P1000, D3).
En 1930, les commissaires
scolaires du canton d'Ascot commandent la construction d'une maison-école destinée
à accueillir 36 élèves à Albert Mines, près de la mine de Capelton. Selon les
spécificités de construction, les commissaires exigent que les fondations
soient construites en béton de haute qualité avec du gravier et du ciment de
premier choix. Le sol doit être recouvert d'un parquet en bois franc de haute
qualité, et le toit, fait de bois de construction assorti, doit être couvert
d'une toiture en fer galvanisé nervuré de qualité. Une cheminée en briques doit
être installée à l'intérieur de la salle de classe. L'ensemble du bâtiment doit
être réalisé avec des matériaux adéquats et achevé dans les règles de l'art à
la satisfaction des commissaires scolaires dans un délai d'un mois et demi!
Sur les plans ci-haut, les
lucarnes du grenier ont été biffées, de même que les salles du côté droit,
prévues à l'origine pour être un vestibule, une cuisine et une chambre, salles
qui ne feront pas partie du projet de construction. Ces plans témoignent du
fait que l'institutrice ne vivait pas dans l'école, comme c'était parfois le
cas ailleurs, et qu'une économie du coût de construction était alors possible.
Les écarts de richesse

École
de rang de Shipton, vers 1900. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Émilien
Lafrance (P22). Photographe non identifié.
École
de rang de West Ditton, vers 1911. Archives nationales à Sherbrooke, fonds des
familles Lafleur, Charbonneau, Hallé et Beaudry (P1003, S4, D3). Photographe
non identifié.

Comme en témoignent les
photographies ci-dessus, des disparités économiques notables existent parmi les
enfants qui fréquentent les écoles rurales de Shipton et de West Ditton.
À Shipton, l'école de rang,
construite en bois rond et assise sur de grosses pierres, donne une impression
de rusticité. Selon une note qui accompagne la photo, cette école aurait
« été bâtie en 1874, à proximité d'Asbestos, à la carrière
d'ardoise ». Les enfants qui la fréquentent apparaissent pieds nus et
vêtus de vêtements usés.
En revanche, l'école de rang
de West Ditton, située dans le canton de Ditton, se distingue par une structure
finie en planches planées qui lui confère une apparence soignée. Cette
différence architecturale témoigne de l'aisance économique de West Ditton, qui
trouve son origine en 1864, née de la découverte des terres fertiles et des
gisements d'or, puis renforcée dès 1869 par l'immigration de nombreux Canadiens
français, ce qui stimule l'économie locale.
Ce niveau de vie plus élevé se
reflète dans l'apparence des élèves accueillis par l'école de West
Ditton : les garçons portent une chemise, parfois une cravate, et ont une
coiffure soignée, tandis que les filles arborent de jolies robes et leurs
tresses sont ornées de rubans. D'ailleurs, tous les enfants sont chaussés de
bottes de cuir.
Parmi ces enfants, on aperçoit
Éva Senécal,
future auteure des Cantons-de-l'Est, assise au premier rang, la 5e à
partir de la gauche.
Déclin et héritage
Le déclin écoles de rang a débuté au milieu du 20ᵉ siècle
sous l'effet de l'urbanisation croissante et de la centralisation du système
scolaire. Le nombre d'élèves dans les zones rurales a diminué à mesure que de
plus en plus de familles se sont installées en ville. Si, en 1950, on comptait quelque
5000
écoles de rang à travers le Québec rural, la majorité d'entre elles
ont fermé leurs portes dans les années 1970 à la suite de la création du
ministère de l'Éducation en 1964.

Ancienne
école Sainte-Thérèse, convertie en domicile de la famille Darche, située à
Sherbrooke, octobre 1954. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Jacques
Darche (P5, S1, SS3, D4, P84-2). Photo : Jacques Darche.
Toutefois, l'héritage des
écoles de rang perdure, non seulement dans la mémoire collective, mais aussi à
travers des initiatives muséales et des projets éducatifs qui cherchent à
préserver cet aspect fondamental de l'histoire de l'éducation rurale au Québec.
À titre d'exemples, certaines
écoles furent converties en domiciles ou encore en musées, témoins
architecturaux d'un système scolaire du passé. Elles demeurent un symbole
important de l'entraide et de la résilience des communautés rurales.
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archives vous intéressent? Prenez rendez-vous avec nous ou venez nous voir!
Archives
nationales à Sherbrooke
225, rue Frontenac, bureau 401
819 820-3010, poste 6330
archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Sources
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Patricia, «Le perfectionnement des maitres au Québec - origine, institution,
développement : niveaux élémentaire et secondaire, secteur francophone et
catholique (1856-1980) », thèse de maitrise (enseignement), Université
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http://dam-oclc.bac-lac.gc.ca/download?is_thesis=1&oclc_number=1372357307&id=8322e72f-6e6c-4b33-b7e7-166d77920a44&fileName=EC56107.PDF.
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découvrir. Les écoles de rang », Revue Cap-aux-diamants, vol. 18,
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https://www.erudit.org/fr/revues/cd/2003-n75-cd1046317/7319ac/.
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