Marc-André Moreau, technicien en documentation aux Archives nationales à Sherbrooke
Le
quartier nord de Sherbrooke est connu pour ses résidences majestueuses,
témoignant de l'influence architecturale de l'ère victorienne. L'une des plus
remarquables était située au carrefour des rues Prospect et Queen-Victoria. Ce
bâtiment, au sein duquel était établi le Club social de Sherbrooke, fut pour de
nombreux citoyens un lieu de rencontre et de discussion, un lieu de culture et
de célébration.
L'histoire
du Club social de Sherbrooke est révélatrice des changements importants que
connaît la ville au milieu du xxe
siècle. Bien que cette association ait été inspirée par le modèle anglais des
clubs privés, elle constitue un témoignage de l'émergence et de l'essor d'une
bourgeoisie canadienne-française sherbrookoise. Celle-ci, portée par la
francisation de la ville, connaît un essor fulgurant et éclipse sa contrepartie
anglophone au cours de la deuxième moitié du xxe
siècle. À titre d'exemple, l'alternance traditionnelle entre les maires
anglophones et francophones prend fin dans les années 1950 et le quartier nord
de Sherbrooke, ancien bastion de la bourgeoisie anglophone, devient progressivement
accessible aux Canadiens français.
Buts et activités du club
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d'un grand souper annuel ayant eu lieu au Club social de Sherbrooke au profit des
œuvres de Mgr Alfred Lanctôt, 11
février 1953. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Joseph Bégin (P26, D2).
Dès sa fondation le 18
avril 1941, le Club social de Sherbrooke a pour objectif de favoriser
l'avancement moral et intellectuel des francophones de Sherbrooke en leur
permettant de se réunir et de fraterniser. Le club est essentiellement un lieu
de socialisation et de réseautage. Des soupers et des conférences y sont
régulièrement organisés les mercredis soir au profit des membres du club. L'association
est également l'hôte d'une multitude d'activités, lesquelles sont fort variées
et ne sont pas toujours exclusives aux membres.
Le Club social est conséquemment
une vitrine prisée par les personnes et les groupes souhaitant faire connaître
leurs idées, leurs causes et leurs projets. Plusieurs œuvres charitables,
telles que celles de Mgr Lanctôt et de la Société Saint-Vincent de
Paul, y trouvent un soutien financier. Le milieu artistique sherbrookois, que
l'association souhaite ouvertement valoriser, en bénéficie tout autant.
Plusieurs peintres, sculpteurs et photographes de la région et d'ailleurs au
Québec ont l'occasion de participer à des expositions organisées dans les
locaux du Club social. L'artiste Thérèse
Lecomte, qui a marqué le milieu des arts
sherbrookois par ses œuvres et son enseignement, y a notamment exposé ses
œuvres aux côtés de celles de Cornelius Krieghoff.
Cette visibilité
suscite évidemment l'intérêt des politiciens, qui, tout au long de l'histoire
du Club social, viennent y prononcer des discours. Les premiers ministres
Adélard Godbout (1943), Louis St-Laurent (1949), Robert Bourassa (1975) et
Brian Mulroney (1988) figurent parmi la liste des visiteurs illustres du club. Un
portrait de Wilfrid Laurier y est par ailleurs fièrement exposé en souvenir de
la visite que ce premier ministre a rendue en 1912 à l'ancien propriétaire du
bâtiment, Francis N. McCrea.
À l'occasion de la
célébration de la nouvelle année, le Club social de Sherbrooke est l'hôte de grandes
festivités rassemblant une multitude de personnes. Les membres d'associations
masculines et francophones s'y réunissent. Les autorités municipales et
religieuses, également invitées, profitent de cette occasion pour offrir leurs
vœux aux participants et à la population sherbrookoise. Cette pratique prend
fin en 1960 dans un contexte où des innovations technologiques telles que la
radio et la télévision transforment l'univers des loisirs et des
communications.
Un
édifice prestigieux
Domicile
de Francis N. McCrea, 85, rue Melbourne à Sherbrooke (auj. 688, rue Prospect),
entre 1910 et 1933. Archives nationales à
Sherbrooke, fonds Studio Boudrias (P21, S6, D300216). Photographe non
identifié.
La popularité et le
prestige du Club social de Sherbrooke ne sont sans doute pas étrangers à la
beauté architecturale de l'édifice au sein duquel cette association s'est installée
quelques mois après sa fondation, soit le 5 août 1941. Sise à la jonction de
la rue Prospect et du boulevard Queen-Victoria, cette somptueuse propriété
avait auparavant appartenu au député fédéral et homme d'affaires Francis N.
McCrea, qui l'avait fait construire au début du siècle dernier. Ses trois
étages, 11 foyers et 26 pièces, parmi lesquelles se trouve une salle de banquet
pouvant accueillir 170 convives, en font incontestablement l'une des propriétés
des plus opulentes de Sherbrooke. Afin de mettre cette demeure au goût du jour,
plusieurs rénovations visant à en moderniser l'intérieur sont effectuées en
1948.
Un
incendie dévastateur
(1954)
Bâtiment
du Club social de Sherbrooke après un incendie vu à partir du boulevard
Queen-Victoria, après le 14 février 1954. Archives
nationales à Sherbrooke, fonds Familles Mathieu-Phaneuf-Donahue (P1005).
Photographe présumé : Jean-Marie Donahue.
Les membres du club ne
peuvent cependant bénéficier de ces rénovations que peu de temps, puisque moins
de six ans plus tard, le 14 février 1954, le bâtiment est la proie d'un terrible
incendie. Ce sinistre engendre des pertes évaluées à 150 000 $, un montant
fort considérable sachant qu'à cette époque, le salaire hebdomadaire moyen d'un
ouvrier québécois est d'environ 50 $. Aucun décès n'est déploré, mais un garçon
de six ans dont le père s'était absenté y aurait sans doute perdu la vie n'eût
été la vigilance d'un employé.
Une
reconstruction moderne (1955)
Denis Tremblay, Reconstruction
du Club social de Sherbrooke : avant-projets, dessins, 10 mai 1954. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Denis Tremblay
(P11, S3, SS2, D15).
Cet incendie ne
signifie pourtant pas la fin du Club social de Sherbrooke, qui renaît aussitôt
de ses cendres. Un nouvel édifice est construit dès le mois de juin 1955 sous
la supervision des architectes Audet, Tremblay et Audet. Divers avant-projets sont
proposés et les membres du club optent pour un bâtiment à l'architecture
nettement plus moderne, comme en témoigne l'édifice se trouvant
actuellement au 688, rue Prospect. Les observateurs
attentifs pourront d'ailleurs remarquer que les initiales du Club social se
trouvent toujours sur les ornements en fer forgé au-dessus de la porte de ce
bâtiment. Aujourd'hui, l'édifice loge les bureaux des courtiers d'assurances Assurancia.
Le
déclin et la fin du Club social
de Sherbrooke
Créé
à l'origine pour permettre aux francophones de se réunir et de socialiser, le
Club social de Sherbrooke devient progressivement un club d'affaires, pour être
finalement supplanté par la Chambre de commerce de Sherbrooke. En 1996, malgré
le soutien financier que lui fournissent certains de ses membres, le Club social
de Sherbrooke est contraint de fermer définitivement ses portes. L'institution,
qui comptait plus de 300 membres en 1948, ne rassemble plus au moment de sa
fermeture que 41 membres.
Pour
obtenir plus d'information au sujet des associations et organisations ayant
façonné l'histoire de Sherbrooke et de l'Estrie, nous vous invitons à venir
consulter nos différentes collections :
Archives
nationales à Sherbrooke
225, rue Frontenac, bureau 401
819 820-3010, poste 6330
archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Sources :
Fonds d'archives conservés aux Archives nationales à Sherbrooke
Fonds Chambre de commerce de Sherbrooke, Club social de
Sherbrooke Inc., 1973-1986 (P1, S6, SS2, SSS5, D247).
Fonds Cour supérieure, District de
Saint-François, Déclaration « Club Social Canadien », 19 avril 1941 (TP11, S8, SS20,
SSS48).
Documents publiés
« Brillante inauguration du club social
Canadien », La Tribune, 10 janvier 1941.« Le Club social
de Sherbrooke a été incendié », Progrès du Saguenay, 16 février
1954.
« Le Club social de Sherbrooke inaugure ses
salles », La Tribune, 6 août 1941.
« Le Club social de Sherbrooke inaugure son nouvel
immeuble, rue Melbourne, coin Queen », La Tribune, 2 août 1941.
« Le Club social détruit par le feu », La
Tribune, 15 février 1954.
« Le Salon du printemps au Club
social », La Tribune, 8 mai 1957.
« L'hon. Godbout au Club social », La
Tribune, 23 octobre 1943.
« Ouverture officielle du Club », La
Tribune, 11 juin 1955.
« Rénovation du Club social », La Tribune,
21 septembre 1948.
« Salon du printemps : l'exposition sera inaugurée
demain soir au Club social », La Tribune, 11 mai 1957.
« Social Club home gutted by
flames », Sherbrooke Daily Record, 15 février 1954.
« Successeur de Laurier », La Tribune,
11 mai 1949.
« Un public nombreux à l'Exposition d'art », La
Tribune, 19 novembre 1945.
FISETTE, Gilles, « Le Club social ne renaîtra pas : la
mise en vente de l'édifice met un terme définitif à l'aventure amorcée en 1941
», La Tribune, 22 février 1996.
KESTEMAN, Jean-Pierre, Histoire de Sherbrooke, tome 4 : De la ville ouvrière à la métropole
universitaire, Sherbrooke, Productions G.G.C., 2002, 489 p.
LAVALLÉE, Stéphane, « En prévoyant la disparition des
pensions de vieillesse et des programmes sociaux Broadbent utilise une tactique
déloyale... affirme le premier ministre Mulroney devant 600 partisans à
Sherbrooke », La Tribune, 27 octobre 1988.
PRÉFONTAINE, André, « $15 millions pour le parc industriel »,
La Tribune, 21 janvier 1975.
TESSIER, André, « La tournée du jour de l'An du Club social
», La Tribune, 20 décembre 1999.