La photographie
ne manque pas d'impressionner! Cette dernière a été utilisée comme preuve dans
la poursuite judiciaire Alfred Dubois c. The Sherbrooke Street Railway Co.
(SSR), à la suite d'un accident de tramway en 1903.
Alfred Dubois, ex-policier
et ancien ouvrier à la Jenckes Machine Co., une usine spécialisée dans
l'équipement minier, devient conducteur de tramway au début de l'année 1902.
Treize jours avant l'accident, la SSR lui impose les tâches de garde-moteur, le
temps de trouver une autre personne pour le poste. Durant son interrogatoire, Dubois
admettra devant la Cour qu'il n'était pas qualifié pour ce type de travail.
Dans la nuit du
3 au 4 décembre 1903, une grande quantité de pluie s'abat sur Sherbrooke,
rendant les rails de tramway glacés. Afin de rendre les trajets plus sécuritaires,
des employés de la SSR procèdent au déglaçage des rails. La technique est
simple : deux tramways sont accrochés l'un à l'autre et le second pousse
le premier, qui est utilisé pour ouvrir la voie.
L'accident
survient à l'entrée du pont Wolfe, alors que le premier tramway sort des rails
malgré la vitesse de poussée modérée. Le surintendant Smith, le contrôleur
Hogan et le garde-moteur Alfred Dubois, qui occupent le premier tramway, se
dirigent tout droit vers les garde-fous. Si Smith et Hogan ont le temps de
sauter et d'atterrir sur la chaussée, Dubois n'a pas la même chance. Il
expliquera à la Cour avoir essayé de faire marche arrière pour sauver le tramway,
sans succès : « Dubois
saisit aussi les garde-fous, mais la pièce se brisa et il alla rouler dans le
précipice, au milieu des débris du wagon, qui avait été s'abîmer au bord de
l'eau. [...] L'infortuné Dubois fut ramassé sans connaissance. »
Pièce à conviction no 12 de la partie
demanderesse dans la cause no
914, Alfred Dubois c. The Sherbrooke Street Railway Co., 1903. Archives
nationales du Québec à Sherbrooke, TP11, S8,
SS2, SSS1, D914. Photographe non identifié.
Les
radiographies prises à l'hôpital dévoilent les dégâts : hypertrophie du
foie et du poumon droit, luxation de la clavicule gauche, fractures aux bras,
luxation des côtes droites... Dubois est en mauvais état.
L'homme
décide alors de poursuivre la SSR puisqu'il juge que la compagnie est
responsable de l'accident. Lors du procès, Dubois et son avocat ne manquent pas
de faire mal paraître la compagnie. L'employé estime qu'en raison de
l'outillage de qualité inférieure, de la négligence générale et de l'absence
d'équipement préventif au pont Wolfe, un endroit reconnu comme dangereux, la
SSR doit lui payer la
somme de 5000 $. Il obtient gain de cause peu de temps après le
début du procès, et la SSR coopère sans faire appel.
Le
tramway de Sherbrooke a une histoire mouvementée. Vers 1925, l'opinion publique
à son égard se trouve considérablement changée comparativement à celle qui
prévalait à son arrivée en ville : on trouve que le tramway est lent et
encombrant, en plus d'être dangereux. La popularité grandissante de
l'automobile n'aide certainement pas sa cause. Le tramway devient rapidement un
bouc émissaire; on l'accuse de tous les problèmes de la voirie. À l'aube des
années 1930, au milieu d'une crise économique, il a même de la difficulté à
survivre. Les dirigeants de la compagnie de tramway lancent un ultimatum à la Ville :
si celle-ci refuse de pallier le déficit financier entraîné par la diminution
du nombre d'utilisateurs, ils mettront fin aux activités. Le 31 décembre 1931, les
tramways cessent ainsi de parcourir les rues de Sherbrooke, laissant place, dès
le lendemain, à l'apparition d'un réseau
d'autobus de ville.
Cette histoire
de tramway vous a intéressé ? Consultez le texte publié récemment dans Estrie-Plus,
intitulé « John
Kerr, chauffeur de tramway des plus malchanceux ».
Sources :
Cause
no 914 Alfred Dubois c. The Sherbrooke Street Railway Co.,
1903. Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
Archives nationales du Québec à Sherbrooke, fonds Cour du banc du Roi ⁄ de la
Reine du district judiciaire de Saint-François (TP11, S8, SS2, SSS1, D914).
KESTEMAN,
Jean-Pierre, Histoire de Sherbrooke - La ville de l'électricité et du
tramway (1897-1929), Sherbrooke, Éditions GGC, 2002, 292 p.
KESTEMAN,
Jean-Pierre, Histoire de Sherbrooke - De la ville ouvrière à la métropole
universitaire (1930-2002), Sherbrooke, Éditions GGC, 2002, 489 p.
KESTEMAN,
Jean-Pierre, La ville électrique - Sherbrooke 1880-1988, Sherbrooke,
Éditions Olivier, 1988, 234 p.
KESTEMAN,
Jean-Pierre, Les chars électriques - Histoire du tramway à Sherbrooke
1895-1932, Sherbrooke, Éditions GGC, 2007, 170 p.
TESSIER,
André. « L'Ingersoll-Rand. Vie et mort d'une aciérie géante », Histoire
Québec, vol. 8, n° 1, 2002, p. 20.
« Notes
locales », Le Progrès de l'Est, 12 mai 1903, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3545641?docsearchtext=dubois
(consulté le 1er avril 2021).
« Terrible
accident du chemin de fer électrique », Le Progrès de l'Est, 5
décembre 1902, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3545597?docsearchtext=Dubois
(consulté le 1er avril 2021).
« Miraculous escape.
Street car went over bridge into the Magog River », Sherbrooke Examiner,
5 décembre 1902, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2986085?docsearchtext=Alfred%20Dubois (consulté le 12
avril 2021).
« Histoire de la Société de transport de
Sherbrooke », Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Soci%C3%A9t%C3%A9_de_transport_de_Sherbrooke
(consulté le 12 avril 2021).
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