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Le passé que l’on s’invente…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 8 juin 2022      

Dimanche dernier, le premier ministre caquiste, François Legault s'est glissé dans le personnage mythique de Robert Charlebois dans le temps qu'il faisait peur aux Français à l'Olympia de Paris en leur lançant des instruments de musique sur la tête. Il a cherché à casser la baraque en déclarant que la nation québécoise était en péril si le Québec ne réussissait pas à convaincre le gouvernement fédéral de lui donner les pouvoirs en matière d'immigration. Si l'on en croit le premier ministre Legault, le Québec est sur la voie de la « Louisianisation » et seul un gouvernement fort de la CAQ issu du prochain scrutin d'octobre 2022 pourrait éviter ce triste sort pour notre nation. La rhétorique de Legault fait de l'immigrant une menace. Une dérive nationaliste qui s'est confirmée durant toute la dernière semaine. Réflexions sur le nationalisme québécois et la politique à l'aube d'une élection québécoise.

Le nationalisme, une constante de l'histoire du Québec

S'il y a une constante dans l'histoire du Québec, c'est la présence du nationalisme sous une forme défensive ou plus offensive tout au long de notre histoire. De la conquête de 1760 avec la bataille pour conserver la langue française et le droit civil français aux rébellions de 1837 où l'affirmation nationale se jouxtait à des revendications démocratiques dans la foulée du printemps des peuples. De la Révolution tranquille de l'époque de Lesage au mouvement indépendantisme, le nationalisme québécois a toujours joué un rôle majeur dans le discours politique québécois. Ce n'est donc pas étonnant que l'on voie ressurgir ce puissant outil rhétorique à l'aube d'une nouvelle élection.

Le nationalisme québécois a connu ses heures de gloire des années 1960 jusqu'à la défaite du référendum de 1995. Quoi que l'on ait pu en dire, les deux défaites référendaires ont affaibli la position politique du Québec dans le fédéralisme canadien et a mené la mouvance nationaliste à un « champ de ruines » selon les mots de l'ancien premier ministre québécois du Parti Québécois, Jacques Parizeau. Pire encore, cela a conduit à une reconfiguration de l'espace politique où les anciennes querelles fédéralistes-souverainistes on fait place à une opposition droite-gauche. Cela n'a pas empêché cependant la mouvance nationaliste de reprendre le pouvoir avec la Coalition avenir Québec et de créer des politiques nationalistes issues d'un nationalisme identitaire.

Le documentaire : Bataille pour l'âme du Québec

Le nationalisme identitaire est un nationalisme plus conservateur. Cela est indéniable. C'est dans cette perspective que nous avons pris beaucoup d'intérêt à visionner le documentaire de la journaliste Francine Pelletier intitulé Bataille pour l'âme du Québec. Dès le début du documentaire, l'historien Pierre Anctil entre dans le vif du sujet en évoquant le racisme, le rejet de l'autre et la diversité, l'historien soulève l'enjeu de la responsabilité devant les dérives identitaires actuelles. Et la suite du documentaire est plutôt explicite : on y aborde le rôle qu'ont joué les médias dans la polarisation du Québec, mais aussi celui des personnalités politiques, Mario Dumont et ses formules populistes en tête.

On apprend également, grâce aux différents intervenants, que la Charte des valeurs québécoises est le point de bascule vers un nationalisme nouveau, qui soutient que la « majorité historique francophone » serait à défendre face à la religion musulmane et... aux femmes voilées. Le tout cristallisé par une définition souvent confuse de la laïcité.

Ce procès intenté aux dérives du discours nationalisme par madame Pelletier dans ce documentaire semble tomber sous le sens si l'on prend appui sur les événements politiques de la dernière semaine : discours lénifiant sur l'immigration, culpabilisation des immigrants, déclaration de guerre à Ottawa, démonisation de Justin Trudeau, annonce de candidatures souverainistes de type pur et dur comme candidat de la CAQ avec la nomination de Caroline Saint-Hilaire dans Sherbrooke et celle de Bernard Drainville. Ce dernier a été le père de la défunte charte des valeurs, rebaptisée depuis par ses adversaires comme la charte de la chicane remplacera François Paradis dans le comté de Lévis. Il n'en faut pas plus pour créer un nouveau narratif sur les véritables intentions de François Legault qui pratique avec agilité le style « Bourassien » hérité de nos racines bretonnes, je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire. La table est mise pour l'affrontement électoral d'octobre prochain.

Le nationalisme, un hochet politique

Ce ne sera pas la première fois que le nationalisme servira de véhicule politique dans un affrontement électoral au Québec. Souventes fois dans notre histoire, le nationalisme a servi de hochet pour distraire notre attention des véritables enjeux qui confrontent notre société. D'ailleurs, faut-il rappeler que le nationalisme est une doctrine. Une doctrine qui sert un mouvement politique qui revendique pour une nationalité le droit de former une nation. En fait, le nationalisme dénote chez ses propagateurs et thuriféraires une propension à exalter le sentiment national avec passion. Le nationalisme qui se transforme en chauvinisme ou patriotisme ce n'est ni bien ni mal. Parfois, c'est un ciment qui permet de créer des solidarités utiles dans la vie d'un pays pour affronter des difficultés. Par contre, le nationalisme qui s'exprime aujourd'hui au Québec, le nationalisme identitaire est de nature différente de celui qui a permis au Québec de s'émanciper de ses conditions socio-économiques inacceptables. Une fois le pouvoir conquis, les rêves brisés, les refus de l'État canadien aux demandes légitimes du Québec de voir reconnaître sa spécificité, le nationalisme a pris de nouvelles formes et celle qui prévaut aujourd'hui et qui se fonde sur l'exclusion de l'autre, sur la frilosité à la diversité et sur ce désir de se renfermer sur soi dans un entre-nous confortable est à rejeter.

Il ne faut pas oublier que l'État-nation est une construction qui apparait au 17e siècle au lendemain de la guerre de Trente Ans. Un conflit majeur de l'Europe moderne qui a impliqué l'ensemble des puissances du continent dans le conflit entre le Saint-Empire romain germanique et ses États allemands protestants en rébellion ; le traité de Westphalie signé en 1648 mettra en place un nouvel ordre mondial : l'ordre westphalien. Derrière cette expression se trouve l'idée selon laquelle ces traités auraient vu la naissance d'un nouvel ordre international fondé sur l'affrontement d'États désormais souverains et égaux en droit, et participant par conséquent d'une stabilisation de l'ordre international après une époque de guerres civiles. Ces traités seraient ainsi à l'origine de principes élémentaires du droit international contemporain tels que l'inviolabilité des frontières ou la non-intervention dans les affaires domestiques d'un État. Il faut toutefois garder à l'esprit qu'il s'agissait du point de départ d'un long processus aboutissant à la mise en place et la relative acceptation de ces règles ; par ailleurs, les notions d'État et de frontière doivent être saisies dans leur réalité du XVIIe siècle. Le traité a pour résultat le fait que les États se reconnaissent mutuellement comme légitimes sur leur territoire propre. C'est une nouvelle conception de la souveraineté qui perdura jusqu'à nos jours et qui est la colonne vertébrale de l'affrontement Québec-Canada depuis le 19e siècle.

On peut penser que le 21e siècle pourra donner naissance à de nouvelles façons de voir et surtout à ne pas se servir du nationalisme comme hochet politique pour distraire notre attention d'enjeux plus urgents comme la crise climatique, les inégalités sociales et économiques, la pénurie de la main-d'œuvre, l'état pitoyable de notre réseau de santé et la condition de nos aînés. Le gouvernement Legault cherche à profiter de notre attachement à nos origines et à nos racines pour nous distraire des véritables défis qui se posent à l'avenir du Québec. Nous ne devons pas le laisser faire. Vous savez, comme l'écrit l'auteur bulgare Guéorgui Gospodínov dans son roman Le pays du passé : « Le passé n'est pas seulement ce qui nous est arrivé. Parfois, c'est ce qu'on n'a fait qu'inventer. »

Les méchants immigrants et le démon Trudeau sont manifestement des hochets et le nationalisme noir évoqué par le gouvernement Legault est clairement un passé que l'on s'invente...


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