Wilfrid Laurier, un ancien grand premier ministre avait
déclaré que sa province, le Québec, n'avait pas d'opinions, mais que des
sentiments. Aujourd'hui, on doit se rendre à l'évidence qu'il avait raison en
partie du moins. Il n'avait pas prévu qu'à notre époque les opinions seraient
basées sur des sentiments et non pas sur la science. Le Québec a non seulement
des sentiments, mais il se gouverne avec des opinions issues de ces sentiments.
Nous en sommes au gouvernement de l'opinion et des sentiments et de la bonne
conscience. Prenons un moment pour réfléchir ensemble à cette question si vous
le voulez bien.
Un gouvernement d'opinions
La décision du gouvernement de François Legault de mettre
fin au projet de troisième lien autoroutier entre les villes de Québec et de
Lévis a plongé la classe politique dans un psychodrame. Les médias et les
commentateurs de la scène politique ont accordé à cette question une place
démesurée dans l'espace public si l'on considère l'importance de l'enjeu. Après
tout, cela n'est qu'une banale question d'infrastructures pour une région. Cela
ne valait pas autant de chemises déchirées. Ce qui est vrai avec le dossier du
troisième lien l'est encore plus avec la nouvelle crise liée à une enseignante,
qui manifestement a besoin de soins urgents, elle crie et traumatise les petits
de première année dans une école primaire. Je ne veux pas minimiser la chose,
mais cela n'est tout de même pas une affaire d'État la gestion d'une classe ou
d'une école. Pourtant, cela est devenu un dossier national et urgent. Il en va
de même avec plusieurs autres questions. Il s'agit que les médias s'emparent
d'un sujet pour que les autorités en deviennent prisonniers et que cela
devienne le sujet de l'heure. Vous voulez des exemples : le conducteur fou
et meurtrier de Laval, madame Chantal, le troisième lien et tutti quanti. En
fait, les premières pages de certains quotidiens nous donnent une bonne idée.
Cela est préoccupant. Non seulement nous gouvernons désormais aux sondages
d'opinion, mais aussi au rythme de l'agenda-setting des médias. C'est ce
que nous devons appeler un gouvernement d'opinion. Discutons cela quelques
instants...
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Les sondages d'abord...
Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que les gouvernements
comme ceux du Québec et du Canada gouvernent beaucoup par sondages. La moindre
intention, la moindre loi est scrutée à la loupe dès son origine afin d'en
mesurer l'acceptabilité électorale auprès des publics cibles préidentifiés. On
peut faire l'hypothèse sans grands risques de se tromper qu'avant d'annoncer la
décision de mettre fin au projet de troisième lien autoroutier, entre Québec et
Lévis, le gouvernement Legault a commandé des sondages. IL y a découvert qu'un
projet de troisième lien entre Québec et Lévis s'élevant par exemple à 12 milliards
de dollars passerait mal dans l'opinion publique québécoise. D'autant que les
études que nous découvrons ces jours-ci pointent de nombreux autres problèmes
pour ce futur lien comme l'obligation d'y interdire le trafic lourd. Sans
compter que ce projet n'a jamais été un projet sérieux. Mais sur la base de
sondages, je pose l'hypothèse pour fins de discussion, le premier ministre
Legault a pris la décision de mettre fin au projet. Il a ensuite mis en place
avec son équipe un plan de gestion de crise pour organiser la sortie de cette
nouvelle qu'il savait dommageable pour ses députés et ministres de la région de
Québec incluant la région de Chaudière-Appalaches. Mais gérer des crises est un
sport dangereux et il y a toujours de dommages collatéraux. On doit admettre
que pour le moment le pari du gouvernement Legault tient. Il a fait volte-face,
plusieurs membres de son équipe ont l'air fous et lui-même s'en sort affaibli
parce qu'il n'a pas tenu parole.
Legault, un récidiviste s'appuyant
sur ses députés
D'ailleurs, cela serait tel que tel si c'était la première
fois, mais c'est quand même un comportement récurrent pour ce premier ministre.
Pensons à son abandon de la réforme du monde de scrutin qu'il avait pourtant
officialisé par une séance de signature officielle avec les autres partis
d'opposition avant son élection pour son premier mandat. Les sondages pourtant
révèlent que la population est majoritairement favorable à la mise en œuvre
d'un nouveau mode de scrutin. Ici, il faut aussi prendre en compte une autre
force motrice d'un gouvernement soit le caucus de ses députés qui était
défavorable à ces changements. Bref, le gouvernement Legault gouverne avec des
sondages et avec l'opinion de ses députés de qui il a besoin pour assurer sa
cohésion. Jusqu'ici rien de neuf sous le soleil, tous les gouvernements font
pareil. Ce qui marque une singularité du gouvernement actuel avec ceux qui
l'ont précédé c'est son volontarisme à suivre les sentiments et les opinions des
personnes qui fabriquent l'actualité chaque jour. Ce que j'appellerais la douce
dictature des médias sensationnalistes.
La place prépondérante de l'agenda-setting
Ce qui me fascine de l'époque
actuelle c'est l'emprise des médias sur les politiques publiques. Cela n'est
pas un fait nouveau. Depuis des lunes, les spécialistes en communication et en
relations publiques nous parlent de ce phénomène. Permettez-moi de vous le
décrire. L'hypothèse de base est la suivante : les médias exercent un
effet considérable sur la formation de l'opinion publique, en attirant
l'attention de l'auditoire sur certains événements et en négligeant d'autres.
Les médias définissent ainsi
le calendrier des événements et la hiérarchie des sujets qu'il note dans leur
agenda. Ce qui entraine immanquablement que les auditeurs ou les
téléspectateurs le notent aussi et le mémorisent à leur tour. En plus de
l'ordre de présentation des nouvelles du jour, le médiateur va influencer de
manière plus voyante ses auditeurs par son commentaire verbal ou gestuel, par
le montage, par les illustrations visuelles ou sonores qui seront choisies. Le
récepteur se trouve ainsi soumis à une double influence : celle du choix
du sujet et celle du commentaire sur le sujet. Par conséquent, la fonction des
médias n'est pas de dire aux gens ce qu'ils doivent penser, mais sur quoi ils
doivent porter leur attention. Ils proposent donc l'hypothèse suivante : il existe une relation entre l'ordre hiérarchique des événements
présentés par les médias et la hiérarchie de signification attachée à ces mêmes
problèmes de la part du public et des politiciens. Sans
nous en rendre compte, nous vivons tous les jours dans un univers spectaculaire
qui pour une large part nous est imposé par les médias d'information.
Un gouvernement d'opinions et
de sentiments
Les gouvernements de nos jours gouvernent avec des
sondages, des groupes de discussion et sont plus que jamais sensibles à
l'opinion de leurs commettants. Cette opinion prend forme publiquement par une
opinion publique de plus en plus inspirée des bonnes consciences plutôt que des
faits. Cela est exacerbé par de nouvelles technologies qui rendent possible
aujourd'hui des médias sociaux qui sont un véritable tribunal d'opinion. Ce qui
vient accélérer la disparition de la science et des faits tangibles de la prise
de décision dans le processus d'élaboration des politiques publiques. Wilfrid
Laurier avait en grande partie raison, sa province n'a pas d'opinions, mais que
des sentiments...