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Le legs de Justin

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Photo : Faisant fi de la nature constitutionnelle de l’approche qu’il propose, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a annoncé la semaine dernière à la chambre des communes qu’il souhaitait du changement dans la relation entre les Canadiens et les Premières nations. - Daniel Nadeau
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 21 février 2018      

Décidément, les Trudeau ont de grandes ambitions pour notre pays. Pierre Elliott Trudeau, le père de Justin et notre premier ministre de 1968 à 1984 avec une brève interruption du gouvernement minoritaire conservateur de Joe Clark de juin 1979 à mars 1980, avait pour obsession de rapatrier la constitution canadienne de Londres et d'y greffer une Charte des droits.

Pierre Elliott Trudeau voulait créer un nouveau pays et un nouveau citoyen qui incluait les Québécois francophones dans un Canada centralisé. Projet qu'il a mené à bien tant par le rapatriement unilatéral de la constitution en 1982 que par son combat acharné contre l'accord du lac Meech. Son fils, à plusieurs égards un digne successeur de la filiation idéologique de son père, veut quant à lui reconnaître les droits des nations autochtones du pays et négocier avec elles d'égal à égal. Tentative de décryptage de la pensée de Justin Trudeau à l'égard des premières nations. 

Un nouveau cadre et un échéancier très serré

Faisant fi de la nature constitutionnelle de l'approche qu'il propose, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a annoncé la semaine dernière à la chambre des communes qu'il souhaitait du changement dans la relation entre les Canadiens et les Premières nations : « Les peuples autochtones et tous les Canadiens savent que le temps est plus que venu pour un changement. Nous avons besoin d'un changement à la grandeur du gouvernement ». Mieux encore, Justin Trudeau a affirmé que : « La réconciliation nous appelle à faire face à notre passé et à nous engager à créer un avenir plus prometteur et inclusif. Nous devons reconnaître qu'au cours de plusieurs siècles, des pratiques coloniales ont nié les droits inhérents des peuples autochtones. » Pour notre premier ministre : « La reconnaissance et la mise en œuvre des droits des peuples autochtones permettront à notre gouvernement d'adopter une nouvelle façon de travailler avec les Premières nations, les Inuits et les Métis, et de réparer des décennies de méfiance, de pauvreté, de promesses brisées et d'injustices. »

Par cet engagement formel, le gouvernement libéral de Justin Trudeau s'engage dans un vaste processus de nature constitutionnelle avec les Premières nations, et ce dans un échéancier très serré puisque monsieur Trudeau souhaite que le nouveau cadre soit prêt pour 2019 avant les prochaines élections. De grandes ambitions, mais qui risquent de se heurter aux récifs de la réalité politique canadienne.

Le Québec, un solide allié de la reconnaissance des peuples autochtones

Personne ne peut être contre la vertu. Reconnaître le traitement injuste et souvent injustifié du pays qui est le nôtre envers les peuples autochtones et admettre que trop souvent ces peuples vivent dans des conditions indignes d'un pays aussi riche que le nôtre, va de soi. Dans plusieurs endroits au pays, les conditions de vie des peuples des Premières nations s'apparentent à des situations socio-économiques aussi dramatiques que les pays les plus pauvres de la planète. En outre, ce n'est pas d'hier que nous croyons au Canada, dans de larges pans de l'opinion publique, que nous devons reconnaître le droit ancestral de ces peuples et que nous devons les reconnaître comme des nations de plein droit et dialoguer avec eux d'égal à égal. Le Québec, pour un, a été l'une des premières provinces du Canada à reconnaître les droits nationaux des nations autochtones notamment avec l'entente du gouvernement Lévesque avec les Cris à la Baie-James et la Paix des Braves.

Mieux encore, l'ancien premier ministre Lévesque a fait adopter avant son départ comme premier ministre en 1985, une motion sur la reconnaissance des nations autochtones : « Avant de quitter la scène politique, le premier ministre René Lévesque propose à l'Assemblée nationale une motion qui reconnaît formellement l'existence des dix nations amérindiennes. Ce geste d'ouverture et d'amitié va bien au-delà d'une entente de gré à gré qui vise l'exploitation de territoires traditionnels de chasse ou de pêche (ex : convention de la Baie-James de 1975 ou Paix des braves de 2002). Par cette motion, les élus québécois entendaient reconnaître des droits fondamentaux des peuples amérindiens, comme le droit à l'autonomie au sein du Québec, le droit à leur culture, leur langue, leurs traditions, le droit de chasser, pêcher, piéger, récolter et participer à la gestion des ressources fauniques, ainsi que le droit de participer au développement économique du Québec et d'en bénéficier.

Sans remettre en cause le principe d'intégrité du territoire québécois, il s'agissait de considérer ces peuples autochtones non comme des enfants à surveiller ou à protéger d'eux-mêmes (ex. Loi des Indiens, 1876), mais comme des partenaires à part entière, avec qui il devenait essentiel de s'entendre pour développer le Québec dans l'intérêt de tous. » On ne peut donc pas accuser le Québec de ne pas être sensible à la cause et au sort des Premières nations ainsi qu'à leur reconnaissance comme peuple. Cela est d'autant plus significatif que nous sommes prêts à leur accorder ce que le Canada anglais nous refuse à nous : la reconnaissance de la nation québécoise.

Le Canada et ses peuples

Je l'ai déjà écrit dans de précédentes chroniques ici et répété ad nauseam dans de nombreuses conversations privées, le Canada doit revoir sa constitution. Ce pays doit une fois pour toutes prendre l'avenue d'un véritable fédéralisme multinational dans lequel il reconnaîtra formellement non seulement les nations autochtones qui vivent sur notre territoire, mais aussi le peuple acadien et le peuple québécois. Le Québec n'est pas une région canadienne où l'on parle français, mais plutôt une nation. Dans un livre paru récemment aux Presses de l'Université de Montréal (PUM), la sociologue et ancienne professeure de l'UQAM, Anne Légaré trace bien l'enjeu de cette discussion de la reconnaissance du Québec comme nation ou comme région : « L'effet d'unification de l'État du Canada se fait en s'appuyant, dans le régime fédéral, sur la création d'espaces régionaux (équivalant à des provinces) relativement distincts, avec une différenciation plus marquée dans le cas du Québec.

Cette distinction a pour effet d'occulter la dynamique centralisatrice, unificatrice de l'État. Compte tenu des caractéristiques de chaque province, le pouvoir d'État au Canada c'est un véritable enjeu que de faire en sorte que les détenteurs de pouvoir de chaque région soient perçus selon leur appartenance à un ensemble qui transcende les divisions. Le cas du Québec est particulièrement probant à cet égard, car il recouvre une nation propre » (Anne Légaré, Le Québec, une nation imaginaire, [Collection Champ libre], Montréal, Presse de l'Université de Montréal, 2017, p. 56-57.) On ne s'en sortira pas tant et aussi longtemps que le fédéralisme canadien n'aura pas intégré dans son fonctionnement et dans son ADN la reconnaissance du peuple québécois comme nation légitime et sa langue et sa culture comme un héritage à part entière de ce pays qui est aussi le nôtre, le Canada.

La question du Québec est toujours d'actualité...

Malgré les déboires du Parti québécois et l'apparente désaffection à l'égard de la souveraineté, le Canada ne pourra résoudre les injustices criantes à l'endroit des peuples des Premières nations sans qu'il s'astreigne une nouvelle fois à régler la question de la reconnaissance formelle des peuples acadiens et québécois dans la constitution canadienne. Le Québec n'est pas une province parmi tant d'autres. Nous ne sommes pas une région canadienne qui parle français, mais une nation à part entière avec une histoire, des traditions, une langue et une culture distincte. Pour que le projet ambitieux de Justin Trudeau se réalise à l'endroit des Premières nations, il faut que la question de l'Acadie et du Québec soit à l'ordre du jour. C'est la seule façon que nous pourrons vraiment comme Canadien tirer profit du legs de Justin...


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