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Haro sur la discrimination

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 6 avril 2022      

Si nous en croyons maints commentateurs, les critères de sélection d'une chaire de recherche de l'Université Laval sont discriminatoires et même racistes parce qu'ils excluent d'emblée les hommes de race blanche. Il n'en fallait pas plus pour que des ténors de la mouvance nationaliste Guy Nantel et Mathieu Bock-Côté s'emparent de l'affaire et pointent la lune du doigt faisant de nous tous les idiots qui se concentrent sur ceux qui pointent le doigt plutôt que sur l'essentiel. L'essentiel c'est que, nous en sommes tous, nous voulons vivre dans une société qui s'enrichit de sa diversité et qui chasse autant que faire se peut toute forme de discrimination dans ses rangs.

Le vice-recteur à la recherche et aux études supérieures de l'Université de Sherbrooke, Jean-Pierre Perrault a déclaré dans un journal régional qu'il considérait les cibles à atteindre en matière de représentation équitable des groupes issus de la diversité comme une opportunité : « L'idée, c'est plutôt de prendre avantage de la diversité et de tout ce que cela apporte à nos réflexions au quotidien. » Ce qui détonne avec les prises de position de Nantel et Bock-Côté qui y voient plutôt « le délire des programmes de discrimination positive ». Comme on le constate, ce débat sur la discrimination positive pour favoriser la diversité se complique chez nous à cause de la condition de majorité-minorité de la société québécoise. Réflexions sur la condition québécoise, le pluralisme et la diversité.

La condition québécoise

Il faut rappeler une fois encore que la société québécoise provient d'une histoire passablement compliquée et que sa majorité de parlants français d'origine caucasienne a été et est encore aujourd'hui victime de discrimination systémique au Canada. Je sais que cette affirmation ne trouvera pas de grâce auprès des plus éveillés, mais c'est tout de même une vérité, les faits historiques le prouvent hors de tout doute raisonnable. Les conditions particulières dans lesquelles s'est déployée l'histoire du Québec ont fait naître, à tort ou à raison, une forme de très grande insécurité du groupe majoritaire minoritaire au sein de la nation québécoise. Cette insécurité, fondée ou non, voile nos perceptions et influence nos jugements sur des questions comme celle qui est en cause dans l'affaire de la chaire de recherche à l'Université Laval. Cela mine la possibilité pour nous de mettre à profit la richesse de la diversité et du pluralisme pour notre société.

Bien sûr, nous avons de bonnes raisons de vivre cette insécurité. Pour reprendre les mots du jeune auteur Étienne-Alexis Beauregard dont j'évoquais l'essai dans ma dernière chronique (Étienne-Alexis Beauregard, Le schisme identitaire. Guerre culturelle et imaginaire québécois, Montréal, Boréal, 2022, 282 p), le Québec est en guerre. Une guerre culturelle qui se joue autour du combat entre deux camps. Le camp de la coalition hégémonique de penseurs progressistes et multiculturalistes qui se définissent par le projet d'un Canada postnational et celui des nationalistes conservateurs qui réclament et revendiquent le pays du Québec. Cette guerre culturelle a pour enjeu la définition même de la nation québécoise, de son histoire et de son avenir. C'est au travers de cette condition que le Québec doit apprendre à gérer et à vivre la diversité et le pluralisme. Cela n'est pas tâche aisée, car cela oppose le couple universalité-particularisme dans le cadre d'une évolution post-moderne d'une société qui se définit par l'identité et le libéralisme à outrance axé sur les conditions particulières des individualités. Droite ou gauche, la société des identités fait naître le sentiment d'appartenance à une tribu plutôt qu'à une communauté. C'est dans cette perspective qu'il faut analyser le débat sur les mesures de discrimination à l'embauche de l'Université Laval et des autres...

Vaincre la discrimination par la discrimination...

À l'époque de la Révolution française, Edmund Burke (1729-1797) est un penseur incontournable. Homme politique et philosophe, il est considéré comme le père du conservatisme moderne, et comme un influent penseur libéral. Tout libéral qu'il était, Burke s'est opposé entre autres choses contre les droits de l'homme si prisés par les révolutionnaires français de 1789. Il comparait la doctrine des droits de l'homme à la promotion d'un individu universel et sans ancrage qui n'existe que sur papier ou dans notre imagination. Un peu comme cet idéal statistique à atteindre pour respecter les normes de financement des chaires de recherche par le gouvernement du Canada qui vise à faire du Québec une société plus ouverte et pluraliste. Ce qui n'est qu'esbroufe. Le problème avec cette approche n'est pas que l'on soit contre les droits des uns et des autres, mais que cela soit une simple vue de l'esprit. La muse de l'esprit des lumières conduit au chaos si l'on fait fi que le culte des droits libéraux mène à la mise en jachère de l'appartenance à une communauté historique.

Un autre jeune auteur dans un essai aussi percutant que celui de Beauregard, Alexis Tétrault, s'intéresse à ces questions dans le cadre de son ouvrage qui traite de la mythologie politique de la vulnérabilité au Québec. Une thèse qui redonne à la mouvance historiographique un tout nouvel argumentaire mis au goût du jour. Il cite Burke dans son essai dans un contexte différent, mais qui s'avère pertinent à mon propos dans cette chronique : « Universel dans son principe, le droit-de-l'hommisme jette dans l'ombre l'appartenance à une communauté historique... Autant (Les Droits de l'homme) sont vrais métaphysiquement autant ils sont faux moralement et politiquement » (Alexis Tétrault, La nation qui n'allait pas de soi. La mythologie politique de la vulnérabilité au Québec Montréal, VLB éditeur, 2022, 256 p.)

Ces propos de Burke rappellent ceux de Fernand Dumont chez nous qui dans son opposition à la vision du fédéralisme de Pierre Elliott Trudeau faisait valoir que le nouvel homme imaginé dans la pensée de Trudeau n'existe que dans les esprits, car l'homme réel a toujours des racines qui l'attache à une communauté vécue. Pour Fernand Dumont, nous ne pouvons atteindre l'universalité que par les particularismes de notre communauté d'origine dans notre volonté d'arrachement à notre culture première afin d'atteindre notre culture seconde à prétention universelle.

Alors pour ou contre l'exclusion comme mode d'action contre la discrimination ?

Vous comprendrez à la lecture de cette chronique que ce n'est pas simple d'avoir une opinion tranchée sur l'affaire de l'Université Laval. Reconnaissons que la discrimination latente dans nos sociétés nourries par nos réseaux sociaux et culturels doit être un jour ou l'autre endiguée si nous sommes vraiment sincères dans notre attachement au pluralisme et à la diversité. Néanmoins, comme la totalité des porte-parole de nos partis politiques, je trouve que ce cas, bien que fondé en principe, manque de raisonnabilité dans son application. Personne ne peut faire croire sérieusement que la discrimination et l'exclusion sont compatibles avec les vertus de l'égalité des conditions de toutes et tous.

Je suis cette fois plutôt en accord avec Burke pour qui la meilleure politique est le juste milieu. Les principes les plus nobles puissions-nous évoquer ne s'incarne pas dans un monde idéal, mais dans un monde vécu traversé par des contradictions, des traits culturels et des mœurs qui viennent forcément altérer et infléchir tous les principes absolus et universels. Il faut se méfier de la raison froide et des modèles de vertu qui déracinent qui nous sommes. Appeler au pluralisme et à la diversité ne nous dispense pas de réfléchir le monde par la perspective de notre communauté. La nation québécoise est ouverte au pluralisme et à la diversité, mais pas au point de se nier elle-même. Quoi que l'on en dise ou quoi que l'on en pense, le Québec n'est pas une société exempte de discrimination. Il s'agit de lire les grands quotidiens de Toronto sur des sujets comme la Loi 21 ou le projet de Loi 96 pour s'en convaincre. Il faut se rappeler qui nous sommes et d'où nous venons et alors on pourra clamer tous ensemble Haro sur la discrimination...

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