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Le pays qui refuse de naître

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 1 juillet 2020      

Aujourd'hui, c'est la fête du Canada. Une semaine après la fête nationale du Québec, nous avons droit à une seconde fête. Quel étrange pays que celui du Canada où ses habitants du Québec ont deux fêtes nationales remarque immanquablement un observateur étranger ! Cette année, la fête du Canada se célèbrera en privé, pandémie oblige. Mais la question qui se pose à nous aujourd'hui, c'est : qu'avons-nous à fêter cette année ? Réflexions sur un pays bigarré au portrait contrasté par de multiples tensions entre régions et communautés...

Se rappeler la fondation du Canada

Il faut d'abord rappeler à nos souvenirs que le Canada s'est construit sur un double vol à ses origines : le vol d'un territoire et de ses richesses aux nations autochtones dans le grand concert de découvertes des puissances colonisatrices européennes et le vol d'une main-d'œuvre que l'on a asservie et mise en esclavage au continent africain avec la complicité active d'Africains qui marchandaient leurs sœurs et leurs frères aux Européens.

Drapé dans les bonnes intentions de sauver les âmes, nous assistons alors à l'époque du début de la colonisation française de l'Amérique à la conversion des âmes du « sauvage » par les bons soins de missionnaires illuminés. La France tenait moins à ses possessions américaines que l'Angleterre et ce ne fut pas long que l'Amérique française prît les habits rouges. Ce ne fut pas qu'un changement d'habits, mais aussi du ton des relations entre colonisateur et nations autochtones. Alors que les Britanniques cherchaient à s'approprier les terres, les Français faisaient montre d'une plus grande collégialité d'action avec les nations autochtones.

Les événements démographiques et politiques ont fait le reste. L'Amérique française est devenue une petite enclave nommée Québec sur le continent avec des poches de résistance ailleurs au Canada et aux États-Unis. Il n'en demeure pas moins qu'au Canada comme ailleurs sur le continent américain, on a mis au pas les Premières Nations. Le Canada et les États-Unis, deux pays au destin partagé, se sont tous deux construits sur ce vol et ils n'ont pas tardé à se servir des moteurs du colonialisme, du patriarcat et du capitalisme pour bâtir un pays à la faveur des riches et des puissants. Ce pays qu'est le Canada est né dans ce contexte de la honte. Si bien que nous ne pouvons qu'opiner favorablement avec celles et ceux qui voient dans le Canada d'aujourd'hui, les résidus d'une puissance coloniale qui a bâti un pays en excluant de nombreuses personnes sur la base de la nationalité, des origines, du genre et de la langue.

Le Canada aujourd'hui

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré la semaine dernière que le drame de nos aînés dans les CHSLD au Québec et dans des résidences d'aînés ailleurs au Canada était la responsabilité des provinces s'en lavant les mains comme Ponce Pilate le fit à l'endroit du personnage historique Jésus, favorisant ainsi Barabbas. Voilà une fausse note à mettre à son dossier.

Pourtant, Justin Trudeau dont le leadership fut mis à mal lors des barricades autochtones et le scandale de SNC-Lavalin, avait plutôt bien fait durant sa gestion de la crise de la pandémie. Ses hésitations à fermer les frontières canadiennes ont largement été oubliées dans le sillon de l'aide gouvernementale apportée par le Canada à toutes les Canadiennes et à tous les Canadiens aux prises avec les conséquences de la pandémie. Une générosité sans égal qui se traduira par un déficit record historique de plus de 150 milliards pour cette année. Mais n'allons pas chiquer la guenille, c'est une bonne idée d'investir dans les gens en ce temps trouble et cela a évité de nombreux drames humains.

Le Canada est différent des États-Unis. Juste ce constat mérite le fait qu'on le fête aujourd'hui. Ce pays est capable de compassion, de générosité et d'ouverture. Cela n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur tant chez nous, emberlificotée que nous sommes dans nos querelles de juridiction fédérale-provinciale, qu'à l'étranger comme semble l'indiquer notre échec à regagner un siège au Conseil de sécurité de l'ONU.

Reste cependant que nous réussissons mal à tirer profit de cette différence et la matérialiser dans des politiques appropriées par exemple une politique étrangère vraiment canadienne qui se libèrera de l'emprise américaine. Sur le plan des politiques intérieures, le discours n'est pas toujours suivi par des actions. L'exemple le plus criant c'est bien entendu l'environnement et la lutte contre les changements climatiques. C'est bien d'entendre le premier ministre du Canada tenir des propos lénifiants sur le racisme systémique, on ne fera pas l'injure rhétorique de lui opposer ses blackfaces pour décrédibiliser son propos, mais ce serait mieux des actions concrètes, notamment dans le dossier des nations autochtones qui sont, jusqu'à nouvel ordre, la preuve du péché originel du Canada et les principales victimes d'un véritable racisme systémique. Il ne faut pas hiérarchiser les souffrances. J'en suis, il faut tout de même reconnaître que le sort réservé par le Canada aux membres des nations autochtones est insoutenable pour un pays démocratique comme le Canada.

Fêter le Canada et la diversité...

Le Canada est peuplé de gens admirables, volontaires et talentueux. Des gens qui se démarquent par des valeurs humanistes et d'entraide. Des gens issus de nombreux pays de la planète. Des gens qui ont néanmoins conquis la terre des peuples déjà présents et qui les ont réduits à des conditions de vie qui font notre honte aujourd'hui avec nos valeurs du 21e siècle. Sans vouloir nous justifier, nous ne sommes pas les seuls ni les pires exemples. Il faut pourtant reconnaître que le Canada pratique un racisme systémique non seulement envers les gens racisés, mais aussi et depuis plus longtemps envers les autochtones, les francophones et le Québec. Le Québec fait régulièrement l'objet d'insultes et de quolibets dans la presse anglophone du pays. Raciste et corrompu sont les principales épithètes que l'on accole au Québec.

Quoi qu'il en soit, on doit reconnaître que le Canada que l'on s'apprête à fêter n'a pas d'histoire. Il est plutôt le résultat de calculs, d'ambitions politiques et économiques et surtout d'une lutte nationale jamais achevée entre Français catholiques et Anglais protestants. Plongée dans les sources du mal canadien.

Chez nous, le gouvernement Trudeau suit en cela la doctrine de Pierre Elliott Trudeau, d'un nouvel homme, d'un nouveau Canadien, d'un citoyen du monde et n'éprouvant aucun attachement à ses racines nationales, fait un choix mal avisé en refusant de reconnaître le fait national au pays. On ne peut résumer le Canada à sa diversité et à ses différences, il faut aussi des points d'ancrage des communautés nationales qui en constituent le fondement.

Le Canada doit refléter l'unité et la diversité. Il doit aussi faire une grande place aux libertés individuelles et être une sorte de paradis pour toutes ses communautés culturelles. Or, il faut aussi que ce pays reconnaisse que le Québec, l'Acadie et le pays autochtone de ce territoire sont des parties constituantes de l'identité nationale de ce pays.

Il faut chez nous faire advenir un véritable fédéralisme qui reconnaîtra à la fois la diversité, mais aussi l'unité que lui permettrait la reconnaissance de ses communautés nationales. Il ne faut pas voir la relation entre la recherche de l'universalisme et du particularisme comme une lutte sans merci. Ce n'est pas Pierre Elliott Trudeau contre Fernand Dumont, mais Pierre Elliott Trudeau et Fernand Dumont. Ce n'est qu'en intégrant à la fois les particularismes de ce pays et notre quête d'universalité que nous ferons ensemble le pays du Canada.

En dépit de ces réalités et de nombreuses autres qui témoignent de la spoliation de nos identités par le pouvoir britannique, je suis tout de même d'avis que le Canada a tout ce qu'il faut pour devenir un beau et grand pays et un pays réel pour tous. Quelle devra donc être notre quête pour le faire advenir ce pays qu'est le Canada dans l'humeur de 2020 ? Je crois que nous devrions tous ensemble Canadiens de toutes origines fonder un pays neuf sur le modèle d'une fédération multinationale qui serait respectueuse des nations qui l'habitent et des femmes qui en constituent le contingent le plus progressiste. Le Canada postnational qu'appelle Justin Trudeau ne pourra exister que sur le socle d'identités solidement ancrées et respectées par tous dans ce pays. Alors nous aurions de quoi fêter en ce 1er juillet. Sinon, nous ne sortirons jamais de ce grand malaise d'un pays qui refuse de naître...

Bonne fête quand même Canada !


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