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Diversion médiatique

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 17 août 2022      

Dans notre société, les médias d'information ont un rôle fondamental pour permettre aux gens de faire société ou, si vous préférez pour développer, discuter, débattre des choix qui s'offrent à tous. Au cours de la dernière décennie, le rôle des médias d'information s'est transformé sous l'impulsion de la faillite de leur modèle d'affaires et de l'apparition des géants d'Internet marqués par le phénomène de l'autopromotion des publics qui s'autoréalisent en commentant les faits d'actualité. Le public devient acteur. Cela brouille les anciens modèles et ce n'est pas sans conséquences pour la couverture d'une campagne électorale comme celle qui s'annonce au Québec.

Si l'on peut raisonnablement pointer du doigt les médias sociaux et les fausses nouvelles qui y sont colportés comme source d'un certain malaise social, nous devons aussi prendre la pleine mesure de la fonction de mise en ordre de l'actualité par les médias d'information, communément appelés agenda setting par les spécialistes universitaires. La couverture actuelle de la précampagne électorale nous en donne une indication. Réflexions libres sur le rôle et l'impact des médias d'information dans nos choix démocratiques.

Le phénomène course de chevaux

C'est bien connu. La couverture des médias de la sphère politique carbure à l'émotion et aux effets spectaculaires. Qui plus est, les informations sont codifiées selon la nature des médias concernée : les clips de 15 secondes pour la radio, les images soignées et les mises en scène pour la télévision et la langue de bois et ses phrases creuses pour les médias imprimés. Le traitement de la nouvelle se fait ainsi dans nos médias. Cela dans un univers où la nouvelle brute cède la première place à la suprématie du commentaire et des témoignages d'expert. Chaque intervention est liée à la personnalité des différents médias qui cherchent à se coller à leur clientèle cible. Clientèle cible sur laquelle le média fondera la valeur de ses espaces publicitaires. Je n'apprends rien de neuf à personne. Ce qui est cependant troublant à notre époque c'est le mimétisme que l'on retrouve parmi les médias. Ce qui fonde a priori leur personnalité propre cède le pas à une forme d'uniformisation des contenus. Par exemple, les campagnes électorales sont décrites par le prisme d'une lutte de personnalités entre les chefs et comme une course de chevaux entre les différentes formations politiques. Le principal intérêt des médias est de décrire qui sera le gagnant ou le perdant plutôt que de couvrir les contenus qui opposent ou réconcilient les partis en présence. Cette propension à proposer un narratif s'apparentant à une course de chevaux pour les campagnes électorales sied bien au besoin de l'effet spectaculaire et des émotions. Les véritables carburants des médias d'information.

La primauté de l'accessoire

Un autre trait important de la couverture des médias d'une campagne électorale c'est le choix qu'ils font de s'intéresser à l'accessoire. Par exemple, dans l'actuelle précampagne électorale, nous avons eu droit à la chasse aux imperfections chez les personnes candidates qui un jour étaient pour un parti et l'autre pour un autre. Les déclarations malheureuses de l'un de ses candidats diffusés en forme de post sur son réseau social. Déclaration sommaire souvent insignifiante qui s'inscrit en dehors de l'idéologie mainstream. Cela permet la matérialisation d'une sorte de chasse aux sorcières par les médias concernés. Déjà, cela fonctionne et n'a pas été sans effet, quelques candidates et candidats ont dû se retirer de la course pour méfait d'opinion non partagée par la majorité et/ou par le tribunal de l'opinion publique présidé par les médias d'information. Il y a aussi dans le choix des nouvelles par les médias d'information de nouveaux combats qui se pointent et dont ils se font les champions en attente. Parmi ces nouveaux combats, il y en a deux qui pointent à l'horizon : le contrôle des dépenses préélectorales et la question de la pureté idéologique des candidats. Je commenterai celui des dépenses électorales pour illustrer mon propos.

Il est amusant de lire les commentaires sur la question des dépenses préélectorales. Comme si cela était un véritable enjeu. À ce que je sache, toutes les formations politiques ont le droit et le pouvoir de dépenser leur argent pour faire connaître leur parti, leurs idées ou leurs candidats. Le match est égal pour tous en ce qui concerne les règles. Il est vrai que certains partis ont plus de moyens financiers que d'autres, mais cela c'est nous qui décidons par nos votes et par nos contributions financières à tel ou tel parti. Je ne vois pas pourquoi nous devions règlementer encore plus les dépenses électorales. Déjà que cela est une entrave pour les groupes et les individus dans la société. En campagne électorale, je n'ai pas le droit comme individu d'acheter une publicité pour dire par exemple que la ou le député de mon comté est incompétent ou est la septième merveille du monde. Un faux débat accessoire.

Une campagne électorale doit-elle débattre des vrais enjeux ?

Voilà la question la plus importante. Une campagne électorale sert-elle à débattre des vrais enjeux qui confrontent notre société ou plutôt être une mise en scène de la sphère politique et de ses principaux acteurs par les médias d'information ? Pour ma part, je crois que la couverture d'une campagne électorale devrait se concentrer sur les idées et les valeurs proposées par chacun des partis politiques plutôt que sur les chances des uns et des autres de remporter la mise dans tel ou tel comté. La politique prédictive n'est pas une politique d'information viable susceptible d'améliorer notre vivre-ensemble et notre capacité de « faire société » pour reprendre le concept du sociologue Joseph-Yvon Thériault. (Ceux qui s'intéresseraient à la pensée de ce sociologue acadien d'origine et québécois d'adoption pourraient lire l'excellent ouvrage tout juste publié aux Presses de l'université du Québec intitulé : Sur les traces de la démocratie. Réflexions autour de l'œuvre de Joseph-Yvon Thériault, cf. : Stéphanie Chouinard, François Olivier Dorais et Jean-François Laniel, dir., Québec, 2022, 323 p. Je vous recommande aussi : François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel, L'autre moitié de la modernité. Conversations avec Joseph-Yvon Thériault. Québec, Presses de l'Université Laval, 2020, 350 p.)

Un exemple d'un débat important qui doit avoir lieu durant la prochaine campagne électorale concerne l'avenir de notre système de santé. La crise de la pandémie liée à la COVID-19 nous a donné un aperçu clair des principales lacunes de notre système de santé qui coûte déjà fort cher au trésor québécois et aux payeurs d'impôt et de taxes que nous sommes. Je ne veux pas remettre ici en cause le travail du gouvernement Legault durant la pandémie. Il a fait de son mieux avec ce qu'il avait entre les mains. Néanmoins, la crise de la pandémie a menacé nos libertés civiles au nom de la sauvegarde de notre système de santé. Cela est inacceptable. Nous n'en avons pas pour notre argent ni pour les efforts que nous y consacrons tous. Il faut faire quelque chose et vite. D'abord en débattre durant la prochaine campagne électorale et cela sans les tabous habituels au Québec.

Parmi ces tabous, il y a celui de l'opposition entre le privé et le public. Une opposition qui est en fait une vaste opération de langue de bois et d'hypocrisie, car le secteur privé existe déjà dans notre système de santé. À cet égard, je suis plutôt favorable à ce que l'on discute en campagne électorale de l'une des idées du parti conservateur d'Éric Duhaime qui veut qu'après un certain temps, nous ayons droit de faire appel à des ressources privées pour obtenir des services et nous faire rembourser par la suite. Cela inciterait vraisemblablement le secteur public à faire mieux. Personnellement, j'attends depuis plus d'un an pour une intervention chirurgicale mineure. C'est inacceptable. Moins inacceptable je l'avoue que les gens qui n'ont plus de services du tout comme en Abitibi et dans le Grand Nord québécois.

Plutôt que de nous titiller avec la chasse aux sorcières des candidats des différents partis politiques, de jauger la pureté idéologique des uns et des autres ou de jouer à qui va prédire le gagnant, les médias d'information accompliraient mieux leur mandat en portant à notre attention de vrais débats plutôt qu'à se livrer à un exercice de diversion médiatique...


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