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Le Québec n’est pas une page blanche…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 12 août 2020      

Je ne sais pas pour vous, mais je suis un peu excédé de tous ces discours de bien-pensants qui font du Québec une société raciste et adepte de la culture machiste. Loin de moi l'idée de mettre sous le tapis les tares d'une société comme la nôtre qui à l'image des autres sociétés occidentales voit parfois de ses citoyennes et ses citoyens faire preuve de comportements inacceptables quant à l'égalité de tous et au respect des différences. On peut aussi noter parfois des gestes et des comportements totalement inacceptables envers les minorités et envers les femmes. La vague de dénonciation qui a déferlé sur les réseaux sociaux ces dernières semaines en témoigne éloquemment. Néanmoins, il faut bien se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain et faire des exceptions la règle de tous.

La charge du professeur...

Je prends à témoin le texte d'opinion paru dans Le Devoir le 5 août dernier du professeur au département de communication de l'Université d'Ottawa, Boulou Ebanda de B'béri. Ce professeur titulaire sous le titre Je me suis déjà senti Québécois, plaide contre le discours de certains intellectuels québécois qui minimisent à ses yeux le racisme systémique et qui se réfugient dans un populisme discriminatoire envers les minorités racisées en refusant de reconnaître la présence au Québec d'un racisme systémique. Le professeur de B'béri en a contre le nationalisme qui, dit-il « entretient un discours public de victimisation de la communauté blanche francophone qui vit au Québec. » Un discours qui légitimise selon le docte professeur l'exclusion raciale soutenue par les méandres d'une histoire partielle. Bref, pour le professeur de B'béri, le nationalisme québécois est le moteur de la discrimination raciale et sert de langue de bois à des intellectuels populistes et aux politiciens.

L'ancien premier ministre canadien, père de l'actuel, Pierre Elliott Trudeau serait heureux de vous lire professeur. Lui qui a consacré toute sa carrière à combattre le nationalisme québécois et le caractère distinct du peuple québécois le qualifiant de « crime contre l'humanité ». Malheureusement, le discours que tient le savant professeur n'est pas une exception et il tend à accroitre son emprise dans l'espace public québécois niant ainsi le parcours hachuré de la nation québécoise en territoire d'Amérique. Je suis d'avis qu'il faut combattre ce type de discours au nom des faits historiques qui ont ponctué le destin du peuple québécois. Retour sur les fondements d'un discours.

Connaître son adversaire

Pour bien saisir la teneur des propos du professeur de B'béri et des autres, il faut savoir que ce type de discours s'appui sur une vision du monde qui repose sur les cultural studies. « Les études culturelles (en anglais, cultural studies) ou sciences de la culture sont un courant de recherche d'origine anglophone à la croisée de la sociologie, de l'anthropologie culturelle, de la philosophie, de l'ethnologie, de la littérature, de la médiologie, des arts, etc. D'une visée transdisciplinaire, elles se présentent comme une "anti-discipline" à forte dimension critique, notamment en ce qui concerne les relations entre cultures et pouvoir. Transgressant la culture universitaire, les études culturelles proposent une approche "transversale" des cultures populaires, minoritaires, contestataires, etc. »

Les cultural studies, ça mange quoi en hiver ?

« Ce courant de recherche est apparu en Grande-Bretagne dans les années 1960 avec pour leader des auteurs comme Richard Hoggart qui a fondé le Centre for Contemporary Cultural Studies. On associe aussi Stuart Hall, le successeur de Hoggarth, Edward Thompson et Raymond Williams. Dans les années 1970, les cultural studies sont introduites aux États-Unis où elles sont mises en relation avec la French Theory, expression servant à désigner les travaux de philosophes comme Jacques Derrida, Gilles Deleuze ou Michel Foucault. Depuis les années 1990, les cultural studies s'internationalisent. De nombreux courants apparaissent en Europe : la Kulturwissenschaft en Allemagne, la cultural analysis aux Pays-Bas, etc. » (loc. cit.)

Cette approche ne constitue pas une école, mais plutôt un champ de réflexion qui a la prétention de repenser l'ensemble des vécus et des produits culturels sous l'angle de leur réception par des publics afin de remettre en question toutes les formes de domination. Les cultural studies ont donc eu un impact important sur les media studies, en introduisant la notion d'usage des publics. Je connais bien ce sujet puisque je fais appel à de nombreux auteurs adeptes de ce type de réflexion dans les travaux que j'ai entrepris à l'Université de Sherbrooke dans le cadre de ma thèse de doctorat sur l'échec de l'Accord du lac Meech en 1990 et la forme qu'a prise la modernité au Québec qui demeure une nation inachevée aujourd'hui. Vous ne serez pas étonné d'apprendre que les travaux du professeur de communication de B'béri s'inscrivent dans cette mouvance. Ce qui n'est pas étonnant, mais ce qui impressionne c'est l'incroyable méconnaissance de ces intellectuels de prendre en compte le caractère singulier de l'histoire du Québec.

Reconnaître l'apport de l'histoire...

Il n'est pas toujours facile de reconnaître la part des faits historiques d'un parcours collectif comme celui du Québec et de sa population. D'autant que l'histoire a une fonction sociale importante dans la construction de nos représentations et de nos identités. Bien sûr, l'histoire n'est pas une science exacte et plusieurs doutent de sa capacité d'objectiver les réalités. Pourtant, le métier d'historien pratiqué avec rigueur peut prétendre à une certaine vérité. L'historien François Bédarida l'affirme en disant que : « Sans minimiser en rien la dimension subjective dans le travail de l'historien, tout concourt pour que l'on affirme sans ambages que l'histoire doit être aussi objective que possible même s'il s'agit là d'un vœu irréalisable, plutôt que de s'égarer dans les méandres de déconstructions post-modernistes où ne flottent plus que d'illusoires représentations, frêles esquifs dérivant au hasard des coutants de la fiction... Malgré tout, une chose est de vouloir pratiquer un historicisme à outrance, une autre d'effacer le passé en niant qu'il n'ait jamais existé. » (François Bédarida, « Les responsabilités de l'historien expert » dans François Bédarida, Histoire, critique et responsabilité, Coll. : IHTP-CNRS, Paris, Éditions Complexe, 2003, p. 294-295)

C'est une chose que de combattre toutes les formes de discrimination dans une société. Cela est noble et est une preuve de maturité pour une société. C'est en une autre que de se faire des négationnistes de la réalité historique du Québec.

Les Québécois blancs de souche ont subi l'oppression coloniale

N'en déplaise à certains, les Québécois francophones et leurs compatriotes canadiens-français partout au Canada ont subi l'oppression coloniale et tout comme les membres des Premières Nations ou des Acadiens, ils ont été victimes du pouvoir blanc dominateur colonial. Ils ne furent pas les seuls. Outre les membres des Premières Nations, il y a eu aussi les Irlandais catholiques. L'histoire de la construction du canal de Lachine en constitue une preuve éloquente. Des statistiques que l'on ne peut démentir sur les conditions de vie, l'accès aux postes de commande dans la société et de nombreux autres aspects prouvent cela. Ce qui différencie les Québécois d'origine francophones du Québec de d'autres communautés en Amérique c'est qu'ils ont pu prendre avantage des contradictions du comportement du colonisateur. Ce dernier empêtré dans des considérations géopolitiques ont permis aux Québécois de se servir d'un territoire devenu un quasi-état pour les aider à se libérer de ce joug et d'améliorer leurs conditions de vie. Un avantage lié à l'histoire qui ne fait pas du Québec et de son État un complice actif du colonialisme. Connaître l'histoire permet de nuancer ces affirmations et de mieux appréhender l'apport que peut avoir pour comprendre la réalité québécoise, les cultural studies.

Ce n'est pas en niant les réalités historiques du Québec que l'on améliorera les choses ni en faisant du nationalisme légitime québécois un outil de discrimination actif envers les minorités. Il faut contrer les négationnistes. Le Québec n'est pas une page blanche...


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