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Le «Nous» identitaire Québécois


Ce débat entre notre « Nous » et celui de l'Autre prend souvent le visage de la lutte qui se déploie autour des notions du multiculturalisme et de l'interculturalisme.
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Photo : crédit images: Google
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 11 septembre 2019      

À l'aube d'une saison électorale fédérale, les médias s'intéressent aux formations politiques qui se feront la lutte dans les prochaines semaines. Quoi de plus légitime ? Informer le public des forces en présence, de leurs visions respectives et de l'état global des troupes avant l'affrontement électoral est une bonne amorce pour couvrir un sujet d'actualité qui s'installera dans notre univers médiatique pour quelques mois.

De toutes les choses qui ont retenu l'attention ces derniers jours, ce sont les premières publicités des partis, les slogans ou, si vous voulez les énoncés de positionnement, qui sont les éléments les plus intéressants du prélude de cette élection. Les slogans sont particulièrement intéressants à ce chapitre, car ils nous livrent les intentions marketing et nous aident à deviner les publics cibles qu'ils ont identifiés comme fondement de leur conquête de l'électorat. Nous savons qu'un slogan a pour objectif de traduire en quelques mots la base de la trame narrative d'un parti lui permettant de bien se positionner et de se définir auprès de l'électorat. C'est un peu une sorte de radiographie de la vision d'une formation politique quant à sa volonté et son positionnement auprès de l'électorat.

De tous les slogans dévoilés la semaine dernière, c'est celui du Bloc Québécois ; « Le Québec c'est nous » qui a le plus retenu mon attention. Cela se fonde surtout sur les commentaires qu'il suscite auprès des commentateurs de la scène politique. Rarement, un énoncé de positionnement d'un parti aura soulevé autant de commentaires. Pourquoi me direz-vous ?

De nombreux commentateurs, à juste titre, ont critiqué le fait qu'utiliser le Québec c'est nous est une forme d'appropriation de la légitimité de l'appartenance québécoise des autres formations politiques. Ils n'ont pas tort. Ce qui m'intéresse tout particulièrement dans cette question c'est le « Nous ». Ce même « Nous » qui a causé tant de soucis à l'ex-premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, lors de son allocution à l'occasion de la défaite référendaire du camp du Oui en 1995. Ce « Nous » que l'on dit parfois inclusif et parfois que l'on rejette. De quoi parlons-nous quand on dit « Nous » ? Répondre à cette question c'est précisément l'objet de cette chronique.

Exploration des méandres du « Nous » québécois

Le « Nous » c'est d'abord et avant tout une question d'identités. Se poser comme un « Nous » c'est d'abord une façon d'affirmer l'existence d'un groupe auquel on sous-entend faire partie. C'était là toute la difficulté du discours de Parizeau en 1995, le « Nous » inclusif qu'il avait employé alors pour dire que, je le cite de mémoire, « si nous avons perdu c'est pourquoi au fond. C'est à cause de l'argent et des votes ethniques. » Dans cette déclaration malheureuse, Parizeau non seulement évoquait un « Nous » identitaire aux contours indéfinis, mais il en faisait une arme offensive envers les Autres en l'opposant aux puissances d'argent et aux Québécois qui n'étaient pas de souche. Ce soir-là, on avait compris que lorsque Parizeau disait argent, il faisait référence nommément aux dépenses de l'État fédéral dans la campagne référendaire et quand il évoquait vote ethnique, il faisait allusion au fait que peu d'immigrants étaient favorables à son projet de souveraineté. Ce faisant, il assimilait les membres des communautaires culturelles présentes au Québec à la figure d'un adversaire de la nation québécoise. Fallait le faire. Cela n'était pas rien. Convenons-en. On n'est guère étonné de constater que cette déclaration, et probablement d'autres considérations dont celle de refuser de gérer le Québec-province, l'ait mené à démissionner quelques jours plus tard de son poste de premier ministre du Québec.

Dans cette perspective. Le « Nous » demeure un sujet à manier avec soin au Québec. En ce sens précis, le choix du Bloc Québécois est audacieux. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit judicieux. Il est vrai que le « Nous » québécois n'appartient pas en exclusivité à celles et à ceux qui veulent que le Québec devienne un pays. Ceux et celles qui voient l'avenir autrement ont aussi la légitimité de se réclamer du « Nous » québécois. C'est pareil avec notre drapeau national, il n'appartient pas aux souverainistes, malgré qu'ils s'en sont approprié, mais bel et bien à toutes les Québécoises et à tous les Québécois. Cela dit, ce n'est pas dans toutes les sociétés que l'utilisation du « Nous » prête à débats. Parler de l'identité québécoise est un sujet difficile au Québec et au Canada en ce 21e siècle.

La difficulté de parler d'identités

On pourrait évoquer de nombreuses raisons pour tenter de fournir des pistes de réponses et trouver des explications quant aux difficultés que nous éprouvons à parler d'identité au Québec et au Canada. D'emblée, disons-le franchement, c'est un sujet qui aujourd'hui est piégé politiquement. Parler d'identité québécoise ou canadienne suscite des débats et des confrontations même si les termes de références d'où l'on part ne sont pas communément admis par les uns et les autres participants à ce débat. On oppose souvent à l'identité québécoise, l'Autre. Comme si affirmer son appartenance à la nation québécoise de souche canadienne-française était en soi un refus de s'ouvrir à l'Autre et au Monde. Quelle absurdité ! On peut être Québécois nationaliste et être ouvert au monde. Je dirais même plus ce n'est pas parce que nous nous sentons d'abord et avant tout Québécois et attaché à la langue française que nous rejetions d'emblée le fédéralisme ou le Canada. Les adversaires de la nation québécoise veulent bien assimiler le nationalisme de sa population à un côté arriéré, de notre côté priest-ridden society comme nous étiquetait la sociologie américaine il n'y a guère longtemps. Certains vont même jusqu'à accuser ce nationalisme de xénophobie voire de racisme systémique. Ces perceptions nous viennent des yeux de l'Autre. On peut toujours gérer ces perceptions, mais ce qui rend cela difficile c'est notre culpabilité d'exister ancrée dans notre histoire. Cette culpabilité collective se traduit par un refoulé qui nous amène à nier de larges pans de notre passé canadien-français parce que nous en avons honte. Si bien que peu de gens connaissent la signification qu'il faut accorder à ce « Nous » québécois.

Qui est le « Nous » Québécois

Tenter de le définir n'est pourtant pas difficile. Il s'agit de toutes les femmes et de tous les hommes qui vivent sur le territoire du Québec et qui reconnaissent participer à l'aventure extraordinaire que constitue l'existence même de la seule nation francophone en Amérique du Nord. Ce « Nous » Québécois rassemble donc toutes celles et tous ceux qui sont venus se joindre à nous au cours de notre histoire. Je parle ici des immigrants ou des nouveaux arrivants, mais il faut exclure les Premières nations et les Acadiens qui ils sont eux aussi des « Nous », distincts de notre « Nous » québécois.

Ce débat entre notre « Nous » et celui de l'Autre prend souvent le visage de la lutte qui se déploie autour des notions du multiculturalisme et de l'interculturalisme. La mouvance nationaliste québécoise reproche au multiculturalisme de menacer l'existence même de la nation québécoise et qui par sa promotion des cultures diverses voudrait ainsi noyer l'identité québécoise et la faire disparaître dans un grand melting-pot Canadian postnational. Ces critiques vont plus loin et assimilent l'interculturalisme au multiculturalisme. Ils font alors une grossière erreur de perspective, car l'interculturalisme ne fait qu'évoquer qu'il existe une culture majoritaire qui au Québec est francophone et qui est la communauté principale de la nation fondatrice, mais en aucun moment cette volonté interculturelle ne veut assimiler les autres cultures minoritaires. Cela veut plutôt créer les conditions propices à un dialogue qui favorise la présence de la diversité, mais en présence d'un socle francophone. Cela dit, pour ne perdre personne en cours de lecture, redisons que l'identité québécoise pose problème parce d'une part, le « Nous » Québécois est indéfini et que le « Nous » Canadien n'est pas plus formalisé. Ainsi, on a du mal à donner une définition en mots simples ce que c'est d'être Québécois ou Canadien. Malgré la lassitude constitutionnelle, cela est encore présent dans nos vies quotidiennes.

Le « Nous » Québécois

Le « Nous » Québécois est mal défini, mais nous savons qu'il souffre de son passé. C'est un « Nous » qui a été colonisé. C'est au prix de notre obéissance et de notre soumission que nous avons pu conserver de Rome, d'Angleterre ou du Canada notre langue, nos institutions et notre religion. Pas étonnant que des penseurs québécois comme Hubert Aquin et Daniel Jacques aient pu évoquer la fatigue culturelle des Québécois. Colonisés, pauvres, sans pouvoir, souvent méprisés, les Québécoises et les Québécois ont survécu grâce à leur détermination, à leur acharnement et à leur résilience, ils sont devenus ce que le Québec est aujourd'hui. Néanmoins, nous vivons avec un passé refoulé qui nous empêche de pouvoir utiliser avec légèreté le « Nous » qui devrait faire notre fierté. Le professeur de philosophie au Collège de Maisonneuve, Sébastien Mussi a publié l'année dernière un essai intitulé : Le nous absent. Différence et identité québécoise publié l'an dernier chez Liber à Montréal. C'est d'ailleurs sa lecture qui m'a inspiré en partie le sujet de cette chronique en même temps que les nombreux commentaires sur le slogan électoral du Bloc québécois.

Permettez-moi d'en citer un extrait significatif où il parle de l'héritage que portent les Québécois de leur passé : « Est-ce bien en effet l'héritage que je veux léguer à mes enfants ?...Le simple fait de poser la question présuppose que l'héritage existe, et ce qu'alors on se demande, c'est dans quelle mesure on désire entrer en sa possession ou non. Ce qui se joue là, c'est bel et bien une posture dans le monde et dans l'histoire : or, on le sait, l'histoire n'a que faire des perdants, des pauvres, des conquis. Cette vision... renvoie ce Québec héritier d'une pauvreté... (à) une double perte : la perte de la France dont nous avons été coupés il y a plus de trois siècles, et aussi la perte de l'Amérique qui aurait pu être notre empire. Ni français ni américain, le Québécois francophone est le produit de cette double négation qui, en l'excluant en quelque sorte de l'histoire, ne lui a laissé aucune expérience du pouvoir et lui a légué une identité toute problématique. » (Sébastien Mussi, Le nous absent. Différence et identité québécoise, Montréal, Liber, 2018, p. 59-60). Une identité problématique qui est sous le sceau de l'échec et de l'inabouti. C'est ce matériau qui constitue le socle de notre « Nous » identitaire et qui est dans le refoulé politique, social et culturel. Conquis, dominé, le « Nous » québécois est pourtant vu aujourd'hui comme un ambassadeur du Colonisateur. Quelle mauvaise lecture de notre histoire !

Le « Nous » du Bloc Québécois

Au terme de cette trop brève réflexion eu égard à la complexité du sujet abordé, on comprend mieux pourquoi le choix du slogan du Bloc Québécois a pu faire autant jaser dans les chaumières québécoises. C'est parce qu'il s'approprie non seulement notre « Nous », un « Nous » qui appartient à tous, mais de surcroît il vient rappeler de vieilles blessures identitaires qui ne sont pas encore cicatrisées et qui demeurent dans le refoulé et l'inconscient. J'ai dit que c'était audacieux c'est vrai, mais c'est surtout une façon de remettre à l'ordre du jour à la veille d'une campagne électorale fédérale le vieux rêve identitaire d'une nation et d'un État souverain du Québec. C'est de bonne guerre pour un parti qui veut que le Québec soit un pays souverain. Rien à redire. Il reste cependant que je suis en désaccord en tant que Québécois attaché à l'idée fédérale et au Canada. Je trouve que le slogan du Bloc québécois instrumentalise le « Nous » identitaire Québécois...


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