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Faire du nouveau avec du vieux


La crise actuelle des quotidiens régionaux recèle une opportunité de faire mieux qu’auparavant en matière d’information régionale. Une réforme des pratiques et des façons de faire en ces temps où règnent les fausses nouvelles n’est pas chose inutile.
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Photo : crédit photos: Google: Jurgen Habermas
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 4 septembre 2019      

Dans la langue chinoise, le mot crise est formé de deux caractères qui signifient danger et opportunité. Sur le plan de la sémantique, les Chinois sont d'avis que dans toute crise il y a une opportunité. La crise actuelle des quotidiens régionaux recèle une opportunité de faire mieux qu'auparavant en matière d'information régionale. Une réforme des pratiques et des façons de faire en ces temps où règnent les fausses nouvelles n'est pas chose inutile. Le point sur un avenir possible des médias imprimés et des médias en général.

La pensée de Jurgen Habermas

De tous ceux qui se sont intéressés à la question des médias, Jurgen Habermas figure parmi les penseurs qui sont les plus pertinents pour réfléchir à la crise des médias de notre époque. Dans la revue allemande Magnum, Habermas s'intéresse dès janvier 1961 à la crise de la légitimité de la démocratie allemande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Dans un article intitulé La République fédérale : une monarchie électorale ? publié en janvier 1961 dans le cahier spécial Venue d'où ? Pour aller où ? Un bilan de la République fédérale, Habermas discute de l'absence d'alternative politique et à l'acrimonie dont fait l'objet la politique. Habermas se veut alors un partisan de la reconnaissance des crimes de l'Allemagne nazie alors que la classe politique dirigée par le chancelier Adenauer laisse sombrer cette question dans l'oubli et l'amnésie. Habermas y dénonce alors l'invasion en politique des techniques publicitaires et de relations publiques qui tendent à favoriser la dépolitisation et à promouvoir un style s'apparentant aux électrices et aux électeurs à de simples consommateurs. Il écrit à ce sujet : « Pour l'essentiel, les décisions ne sont pas discutées par les citoyens dans l'espace public, avant d'être formellement avalisées par le vote. Elles sont plutôt promues à l'attention du public avant les scrutins électoraux, dans une logique de relations publiques, le but étant de renforcer la popularité des "grands hommes" qui aujourd'hui se substituent aux rapports directs que l'individu devrait entretenir avec la politique » (Stefan Müller-Doohm, Jürgen Habermas. Une biographie, [NRF], Paris, Gallimard, 2018, p. 128) Dans la perspective d'Habermas, l'Allemagne de l'époque voit la dégradation de son espace public par l'action des partis et des médias qui favorisent de façon outrancière la personnalisation des choses au détriment des idées et de la conversation et du débat. (loc. cit.)

Le livre culte sur l'espace public

Fort de ces intuitions, Jürgen Habermas lors de son habilitation pour sa thèse de doctorat publiera chez Luchterland en 1962 son livre L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, la copie que je possède a été publiée à Paris chez Payot en 1988. Dans ce livre, Jurgen Habermas décrira un espace public qui se métamorphose et qui a des conséquences sur le processus politique et la pratique politique. Il y décrit un monde idéal de la constitution de la sphère publique bourgeoise qui vit un déclin inexorable sous la pression de deux tendances majeures : « ... d'une part la mercantilisation accompagnant les modes d'organisation des médias de masse, et d'autre part la concentration toujours plus forte à l'œuvre en Allemagne de l'Ouest dans les grands groupes de presse. » (loc. cit.). Des constats qui sont plus que jamais d'actualité pour nous dans la crise actuelle de nos médias.

Ce que dénonce au fond Jürgen Habermas dans ce livre c'est le déclin d'un espace public idéal de la sphère bourgeoise vers un modèle marchand qui entraîne dans son sillage un dépérissement de la démocratie réelle. En mots simples. La socialisation de l'État accompagnée d'une étatisation progressive de la société mène à l'effondrement de la démocratie que nous pourrons qualifier de participative et engagée. Ce constat pour la société allemande du milieu des années 1960 est toujours pertinent aujourd'hui même si l'on peut noter que la tendance à la marchandisation de l'information et la transformation des citoyens en consommateurs se sont accélérés.

Le constat d'Habermas est limpide : « le fait que l'espace public soit, dans la démocratie de masse, fabriqué par les médias de la communication de masse - qui, pour ce qui les concerne, poursuivent avant toute chose des objectifs mercantiles - entraîne une dépolitisation progressive de cet espace public. Les produits fabriqués par les industries médiatiques, qui doivent dans le même temps susciter et assouvir les besoins des consommateurs, incitent « à des comportements-réponses dictés par un assentiment passif en lieu et place d'un usage public de la raison. C'est ainsi que la publicité critique a été remplacée par une publicité ostensible et manipulatrice, qui a servi à consolider les positions de groupes d'intérêt fortement influents. » (ibid. p. 129)

Par le fait de cette transformation de l'espace public, tant le processus médiatique que politique est vicié par des médias qui deviennent non pas des lieux de médiations neutres et objectifs, mais des instances de légitimation du pouvoir et qui est souvent instrumentalisé par des groupes de pression puissants.

Que faire alors ?

Si l'on prête foi à la pensée habermassienne qui est une autorité en matière d'espace public et d'opinion publique depuis plus de 50 ans et si l'on souhaite une redynamisation de notre vie démocratique, on peut voir dans la crise actuelle des médias une occasion de réformer en profondeur le pouvoir médiatique en cherchant par exemple à augmenter l'influence de la société civile et des citoyennes et des citoyens dans la propriété des médias. Des coopératives de travailleurs, de citoyens et d'organismes communautaires pourraient très bien être des joueurs importants dans la relance des médias au Québec. On sent une tendance en ce sens avec La Presse+ qui se transforme en organisme sans but lucratif et avec Le Devoir qui a une gouvernance atypique. Aujourd'hui devant la crise du Groupe Capitales médias des solutions de ce type sont évoquées.

Outre le mode de propriété, le processus de mise à l'agenda des sujets par les médias et l'ordonnancement des sujets traités pourraient être revus sous un angle nouveau où le mercantilisme et la consommation ne seraient plus les critères premiers pour guider le choix des sujets traités. Les praticiens du monde de l'information pourraient aussi revoir leurs façons afin de faire de l'information sans cette volonté de tout « spectaculariser » et de personnaliser à outrance les sujets et les dossiers afin de vendre de la copie et des cotes d'écoute. La crise actuelle des médias est une occasion unique pour repenser l'information et la façon de la faire afin que le public visé soit considéré plus comme des citoyennes et des citoyens que comme des consommatrices et des consommateurs d'information. Bien sûr, il faut aussi étendre notre réflexion à tous les médias, dont les réseaux sociaux, et faire en sorte que tous les joueurs soient appelés à payer leur juste tribut tout en sachant que l'information n'est pas gratuite.

Nous sommes tous d'accord avec l'importance de l'information régionale comme garant d'une démocratie en santé. On serait mal avisé de s'opposer à des solutions où l'État doit venir en aide financièrement aux médias en crise, à tous les médias et non pas seulement à ceux qui risquent de cesser leurs activités à court terme. Cela doit cependant s'accompagner d'une vision renouvelée des modes de produire et de consommer l'information. Dans le domaine des relations publiques où j'œuvre professionnellement de nombreux praticiens se sont renouvelés en pratiquant la communication bidirectionnelle symétrique dérivée des thèses de Jürgen Habermas dans sa théorie de l'agir communicationnel. Pourquoi ne pas profiter de la crise actuelle pour nous donner l'opportunité de Faire du Nouveau avec du Vieux...


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