L'image, de nos jours, c'est tout. Vraiment tout.
Alors que je travaillais dans le domaine de l'information
imprimée, j'ai souvent été témoin des discussions entourant le choix d'une
photo pour illustrer un texte. Le spectre décisionnel était large et adapté à
la situation.
Par situation, j'entends le contexte du texte. Par exemple,
pour illustrer un texte qui relate la réaction de la mairesse de Sherbrooke à
une triste nouvelle, on ne choisira pas une photo prise, alors qu'elle était
toute souriante, lors d'une soirée électorale gagnante. On n'allait pas lui
prêter l'intention d'exulter alors que la nouvelle est triste.
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Mais parfois, l'humeur du moment, la ligne éditoriale d'un
média ou l'ambiance globale autour d'un événement peut aussi jouer dans le
choix de la photo. Ça peut devenir ratoureux un brin, voire carrément méchant.
Depuis toujours, la caméra a un pouvoir sur l'image
personnelle et publique d'un individu. Et depuis toujours, l'image est
importante. Ne dit-on pas qu'une image vaut mille mots ?
Prenez l'exemple bénin d'une séance de photographie avec des
amis. Vous savez, le genre d'exercice où on prend plein de photos en rafale
pendant à peine quelques secondes ? Quand on regarde l'ensemble des photos
prises au bout de ces quelques secondes, les surprises peuvent être
nombreuses ! Vous pouvez être tout sourire sur la majorité des prises, mais un
petit relâchement du sourire combiné à une partielle fermeture de vos yeux peut
soudainement témoigner d'un faciès dégoûté : « Ouf ! T'as pas l'air d'être
content d'être là sur cette photo-là ! »
Le pouvoir de la caméra, je disais.
J'en parle ce matin à la suite de l'incident sur un trottoir
de Montréal lors duquel le directeur de la Santé publique a été pris à partie
par un bonhomme naviguant allègrement à travers tout le monde en planche à
roulettes.
Ce ne sont pas les circonstances exactes qui me touchent.
Oui, je sais que notre directeur n'a pas bien réagi et a même dû s'excuser pour
ses propos.
Ce qui m'intéresse, c'est qu'il s'agit, dans les faits,
d'une agression armée... à la caméra.
Notre homme roulant se faufile à bonne vitesse à travers les
passants. Il porte sa cape d'impunité : une caméra sur son casque.
Tout est là. La sensation du superpouvoir qui enregistre en
temps réel tout ce qui se passe devant soi, avec l'immense avantage de nous
protéger puisque la caméra ne nous filme pas puisqu'elle regarde devant !
Et le crime devient complet quand la caméra rejoint sa
contemporaine complice : les médias sociaux.
La personne sous le casque n'a qu'à garder les bouts qu'elle
veut bien garder et attaquer l'image de l'autre après l'avoir bousculé et pris
par surprise.
Le grand courage (!) de la personne qui se cache derrière la
caméra pour faire ses méfaits. Et ce grand courage est décuplé par le clavier
qui permet de mettre le feu sur les médias sociaux.
La caméra qui fait
loi
L'affaire nous concerne toutes et tous. Pas juste le cas
relaté sommairement plus haut. Bien sûr, la loi vient nous protéger. Bien sûr
qu'il y a l'option de poursuivre l'assaillant. Mais c'est très compliqué. Très
lent. Très coûteux. Très peu utile, à la fin.
Le mal se fait en un clin d'œil et la réparation prendra des
années. C'est comme poursuivre un lièvre en embauchant Me Tortue...
J'essaie de me consoler en pensant que, finalement, la
mémoire collective étant devenue friable, ça ne porte pas tant à conséquences.
Qu'il n'y a rien de plus vieux qu'un statut publié la semaine dernière... Mais ça
ne marche pas. Ça ne me console pas. Parce que les médias sociaux conservent
tout en banque. Une simple recherche fera ressortir les pires moments d'une
personne en temps presque réel, sur l'écran du téléphone qu'on tient d'une
main !
Je crains fort que l'intelligence naturelle ne compte plus
dans un monde qui devient artificiel.
De tout temps, l'image a toujours joué pour beaucoup.
Mais l'image, de nos jours, c'est tout. Vraiment tout.
Clin d'œil de la
semaine
Le duo caméra et médias sociaux fait rapidement d'un
incident, un incendie...