Old
Court House, Sherbrooke, P. Q., 1903. Archives nationales à Sherbrooke, collection Freeman
Clowery (P14, S71, P83). Photographe non identifié.
Au début du mois de décembre 2022, les
Sherbrookois apprenaient que les deux manèges militaires de la ville, longtemps
menacés à cause de leur vétusté, allaient être préservés grâce à une aide
financière provenant du gouvernement fédéral. Ainsi, les générations à venir pourront
continuer à en bénéficier.
Cet article consacré au manège militaire de la rue
William constitue la première partie d'une série de deux traitant des manèges
militaires à Sherbrooke. Le mois prochain, il sera question du manège des
Fusiliers, situé sur la rue Belvédère Sud.
Une première vocation judiciaire
Situé au centre-ville de Sherbrooke depuis bientôt
deux siècles, le manège militaire William est un bâtiment majestueux qui a été
témoin de la transformation profonde de la ville et qui garde en lui des traces
de son histoire militaire, certes, mais également judiciaire.
En 1823, Sherbrooke est choisie comme chef-lieu du
district judiciaire de Saint-François afin de servir les comtés de Stanstead, de
Sherbrooke, de Compton, de Wolfe et de Richmond. À l'époque, le choix est
surprenant, car le développement de la localité se fait lentement
comparativement à celui de Stanstead, de Richmond et de Lennoxville, par
exemple. Ce sont la situation géographique du hameau, au confluent des rivières
Magog et Saint-François, mais surtout la forte influence de William Felton, propriétaire
foncier et colonisateur du site, qui expliquent ce choix. En effet, Felton, qui
possède la majorité des terrains des deux côtés de la rivière Magog à ce moment,
est le parrain du projet de loi qui établit le district judiciaire de
Saint-François; s'il choisit d'établir le chef-lieu à Sherbrooke, c'est qu'il
en retire des gains financiers importants. Cette décision change complètement
le parcours de Sherbrooke, qui passe du statut de hameau à celui de village et
qui profite dès lors de retombées économiques et démographiques inespérées.
La même année, un premier édifice est aménagé à
Sherbrooke afin d'accueillir à la fois un palais de justice et une prison. La
bâtisse, située sur Flagstaff Hill (l'actuelle rue Marquette), avait servi
d'école et d'église au début de la colonisation de Hyatt's Mills (renommé
Sherbrooke en 1818). Cependant, étant donné les besoins grandissants d'une
population toujours croissante, une autre prison est construite en 1827 sur la
rue Winter, et les activités du palais de justice sont transférées dans un
nouveau bâtiment, construit à partir de 1839, sur la rue William.
Henry Whitmer Hopkins, City Atlas of
Sherbrooke, province of Quebec from actual surveys, based upon the cadastral
plans deposited in the office of the Department of Crown Lands, Provincial
Surveying and Pub. Co., 1881, extrait de la planche A (BAnQ
numérique).
Bâti selon les plans de l'architecte montréalais William Footner dans le style néo-classique, avec colonnes doriques blanches et
fronton, le deuxième palais de justice de Sherbrooke ressemble à un temple
grec. Cet édifice majestueux de la rue William (anciennement Bank Street, comme
on le voit sur la carte) est l'un des joyaux du quartier Nord, marqué par le
côtoiement de différents styles d'architecture. Dans ce secteur, on remarque
entre autres le style vernaculaire inspiré par la Nouvelle-Angleterre, le
cottage Regency typiquement britannique, mais également des bâtiments
d'inspiration victorienne néogothique, Second Empire et Queen Anne. En plus du
palais de justice, ce quartier loge la prison de la rue Winter (anciennement
Jail Street) et quelques maisons de juges, d'avocats et de notaires, dont la résidence
du juge Georges-Étienne Rioux et de son fils, Émile Rioux, avocat et maire de
Sherbrooke en 1936-1937, située au 285, rue William.
Extrait de l'acte notarié relatif à la construction du
deuxième palais de justice (1er novembre 1839). Archives nationales
à Sherbrooke, fonds Cour supérieure, District judiciaire de Saint-François, greffes
de notaires, François-Xavier Bureau (CN501, S6).
À titre de chef-lieu, Sherbrooke attire une nouvelle
population non agricole : magistrats, fonctionnaires de l'appareil
judiciaire, avocats, huissiers. Ces derniers expriment différents besoins,
encourageant l'installation d'artisans dans les domaines de la construction, de
l'alimentation, du vêtement, etc. L'acte notarié relatif à la construction du palais
de justice nous ouvre une fenêtre sur ces acteurs importants de la ville de
Sherbrooke dans la première moitié du XIXe siècle :
-
Henry Beckett, maître maçon et entrepreneur.
Il possède une grande propriété, dont une partie constitue aujourd'hui le bois
Beckett;
-
John Low, menuiser et charpentier. Il a également
travaillé à la construction des premiers bâtiments de la Paton Manufacturing
Company;
-
William Rankin, menuisier et charpentier;
-
Thomas Griffith, menuisier et charpentier;
-
Alba Brown, forgeron. Alba Brown et William Arms (voir
ci-dessous) fondent la firme Arms and Brown. Attirés par les affaires
florissantes de Sherbrooke, ils s'y établissent en 1836, puis concluent
plusieurs arrangements, notamment avec la British American Land Company;
-
Edward Hale, propriétaire terrien et actionnaire
de la British American Land Company. Il deviendra député provincial de Sherbrooke;
-
Samuel Brooks, homme
d'affaires. Investisseur dans la propriété foncière et le prêt, Brooks est
également agent et secrétaire de la British American Land Company. Il
s'implique dans le développement ferroviaire des Cantons-de-l'Est ainsi que
dans l'élevage et la vente de bestiaux. Il est lui aussi élu député provincial
de Sherbrooke;
-
Hollis Smith, homme
d'affaires. Il travaille dans l'agriculture et le commerce, puis investit dans
la propriété foncière dans les Cantons-de-l'Est. Il s'implique dans la
construction routière, immobilière et ferroviaire dans la même région;
-
John Moore,
entrepreneur en construction ferroviaire à Sherbrooke, agent de colonisation
dans le canton de Newport et élu député provincial de Sherbrooke. Il est
également commandant des corps de volontaires de Sherbrooke;
-
Levi Allen Edgell, «gentleman»;
- William
Walker, forgeron;
-
William Arms, forgeron, associé d'Alba Brown (voir
ci-dessus) à partir de 1836;
-
William Ayer Ela, menuisier et charpentier;
- Lespenard Calee Ball, marchand;
-
John Drummond, menuisier et charpentier;
- William Willard, coursier;
- François-Xavier Bureau, notaire.
Edward Hale, Samuel Brooks et Hollis Smith sont nommés
commissaires en charge de la gestion des travaux, tandis que les autres
signataires sont engagés pour l'exécution.
Tous ces travailleurs sont les plus réputés au sein de
leur profession à Sherbrooke. Par cet acte signé conjointement en 1839, ils s'engagent
à réaliser le projet de construction du palais de justice, un des bâtiments les
plus importants de la ville à l'époque. L'édifice perdra néanmoins ce statut en
1899 : le palais de justice déménage dans un nouveau bâtiment (l'actuel
hôtel de ville de Sherbrooke, sur la rue du Palais), et l'édifice de la rue
William devient vacant.
Une deuxième vocation militaire
Parallèlement à l'instauration d'instances judiciaires
propres à Sherbrooke, l'organisation militaire de la région se développe. Afin
de défendre les Cantons-de-l'Est, une milice obligatoire est créée en 1803. Celle-ci
intervient pendant la guerre de 1812, lors des rébellions des Patriotes
(1837-1838) et même lors de tentatives d'invasion de la part des fenians, venus
des États-Unis au cours des années 1860-1870. À cela s'ajoutent des milices
volontaires mises sur pied dès le milieu du XIXe siècle.
En 1866, le Sherbrooke Battalion of Infantry est créé par
la réunion de plusieurs de ces unités indépendantes. L'année suivante, le
bataillon est scindé en deux à la suite de changements administratifs : le
53rd Melbourne Battalion of Infantry et le 54th Sherbrooke
Battalion of Infantry voient le jour. Plus tard la même année, ce dernier est
renommé 53rd Sherbrooke Battalion. Il changera de nom neuf autres fois
au cours de son existence, pour finalement adopter celui des Sherbrooke Hussars
en 1965. En 1910, le 54e Régiment de Sherbrooke est à son tour organisé.
Jusqu'alors, ces bataillons sont basés au manège militaire de la rue Belvédère.
Or, en 1912, l'édifice de la rue William, abandonné
depuis le déménagement du palais de justice en 1899, est entièrement rénové
afin de convenir à une nouvelle vocation militaire. Dès l'année suivante, les Sherbrooke Hussars (qui portent alors le nom de 53rd Sherbrooke Regiment) déménagent
sur le site. Durant le XXe siècle, le manège militaire accueillera
la 52e Ambulance de campagne.
Édifice en état de délabrement et sauvetage
Malgré d'autres rénovations qui seront effectuées en
2011, l'état de délabrement du manège militaire de la rue William, notamment au
niveau des fondations, devient tel que l'édifice ferme ses portes en 2021. Les
deux unités qui y sont basées doivent temporairement déménager dans des locaux
loués sur la rue Woodward.
Depuis cette fermeture, des rumeurs affirment que le
manège militaire serait menacé de démolition. Mais le travail effectué par le
groupe de pression Sauvons le manège, qui lutte pour la préservation des deux
bâtiments patrimoniaux, a sans doute aidé à changer la donne : selon
l'heureuse nouvelle dévoilée en décembre 2022, les deux manèges militaires de
Sherbrooke seront finalement préservés.
À suivre le mois prochain : Le manège
militaire de la rue Belvédère à Sherbrooke.
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archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Autres sources :
BERGER, Anick, « Les manèges militaires de Sherbrooke seront préservés », TVA Nouvelles, 2 décembre 2022 (site consulté le 26
janvier 2023).
BESSETTE, Gérard, L'histoire judiciaire du district
St-François : Sherbrooke, s. l., 1987, 354 p.
BOILY, Pierre, Historique du district judiciaire de
St-François, site Internet du Barreau du Québec (l'article n'est plus
disponible en ligne).
BOUCHARD, Marie-Christine, « Le manège militaire William condamné », La Tribune, 12 juin 2021 (site consulté le 26 janvier
2023).
Culture et Communications Québec, « Manège Militaire Sherbrooke Hussars », Répertoire du patrimoine culturel du Québec (site
consulté le 26 janvier 2023).
KESTEMAN, Jean-Pierre, Histoire de Sherbrooke, tome
1 : De l'âge de l'eau à l'ère de la vapeur (1802-1866), Sherbrooke,
Productions G.G.C., 2000, 353 p.
KESTEMAN, Jean-Pierre, Guide historique du Vieux
Sherbrooke, Sherbrooke, La société d'histoire de Sherbrooke, 2001,
271 p.
KESTEMAN, Jean-Pierre, Histoire de Sherbrooke, tome
3 : La ville de l'électricité et du tramway (1897-1929), Sherbrooke,
Productions G.G.C., 2002, 292 p.
LITALIEN, Michel, Les Fusiliers de Sherbrooke,
1910-2010 - L'épopée d'une institution des Cantons-de-l'Est, Sherbrooke,
Productions G.G.C., 2010, 819 p.