On sait de plus en plus clairement ce que l'on
doit faire pour éviter que le réchauffement du climat nous entraîne vers des
bouleversements incontrôlables. Il faut limiter le réchauffement à 2° C, idéalement à 1,5° C d'ici 2100. Pour cela,
on doit réduire les émissions de GES de 43 % d'ici 2030 et atteindre la
carboneutralité en 2050. Ce n'est pas négociable.
Se pose alors la question de la répartition des
responsabilités et des coûts autant pour l'atténuation (passage des énergies
fossiles aux énergies renouvelables) que pour l'adaptation (la prévention et la
réparation des dégâts occasionnés). Sur quelle base établir cette répartition
des responsabilités et des coûts ? C'est ici que la justice climatique prend
son sens.
Nous y sommes déjà confrontés
Le réchauffement du climat entraîne des
sécheresses, l'assèchement de lacs et de nappes phréatiques, des carences en
eau potable et en irrigation des cultures. S'ensuivent des problèmes
d'alimentation jusqu'à des famines et évidemment des problèmes de santé et
aussi des déplacements forcés de population. Ces problèmes sont
particulièrement aigus en Afrique.
Qui sont les responsables ? Doit-on laisser ces
populations à leur sort ? Sinon qui doit payer ? Le problème est global à
savoir le réchauffement planétaire. Ces pays n'ont pas ou très peu contribué
aux émissions de GES et n'ont pas les ressources pour faire face à la
situation. Dans le cas des inondations, des feux de forêt, des chaleurs
extrêmes, de l'acidification des océans, on fait face au même dilemme.
Il n'y a pas de tribunaux pour juger ces
situations d'inégalités et d'injustice. Si tout reste à inventer, des groupes
ont pris l'initiative et ont poursuivi des entités qu'ils croyaient
responsables.
En Hollande, en invoquant la Charte universelle
des droits de l'Homme, la compagnie Shell a été condamnée par un tribunal à
accélérer son retrait des énergies fossiles. Aux États-Unis, l'état du
Massachussetts a poursuivi le gouvernement fédéral arguant son inaction face au
réchauffement climatique : le juge a donné raison au plaignant. On voit se
multiplier de tels recours. Par contre, la majorité des recours ont lieu dans
quelques pays : le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) a
répertorié 1550 recours juridiques de ce type mais concentrés dans quelques
pays soit 1200 cas aux États-Unis et 97 en Australie.
Au Québec, l'organisme ENJEU
(Environnement-Jeunesse) s'est fait débouté par la Cour suprême, en juillet
dernier, dans sa tentative d'introduire une cause collective de ce type.
« C'é pas juste »
Indépendamment du développement d'un système de
justice et de jurisprudence climatiques, on doit réfléchir la question en terme
d'égalité, d'équité, d'éthique, de société de l'avenir. Le défi est de penser
les solutions dans sa dimension planétaire. Au moment où une entreprise déverse
des matières toxiques dans un ruisseau, dans une rivière, il est facile
d'identifier le responsable et d'appliquer des sanctions. En fait d'appliquer
le principe du pollueur/payeur.
Mais qui sont les responsables des feux de forêt
en Colombie-Britannique, des inondations au Pakistan, des sécheresses en
Afrique, des tornades en Europe ou encore de la fonte du pergélisol dans
l'Arctique ?
Alors que les pays industrialisés ont les moyens
de se tirer d'affaires, du moins encore pour quelques temps, les pays qui en
souffrent le plus sont les populations des pays sous-développés. Leur droit à
l'alimentation, à l'habitation, à la santé, à l'éducation sont bafoués. « C'é
pas juste », pouvons-nous conclure.
Effectivement les pays qui émettent le plus de GES sont les pays
développés et en émergence qui ont les moyens de contenir les effets du
réchauffement alors que les autres, qui en émettent très peu, n'en ont pas les
moyens.
La justice climatique fait intervenir 3 principes
majeurs :
1)
le principe du pollueur/payeur :
ceux qui ont pollué doivent payer pour la décontamination;
2)
le principe du bénéficiaire/payeur
: ceux qui ont profité des énergies fossiles pour leur développement doivent
payer;
3)
le principe de capacité
distributive : les coûts doivent être partagés internationalement selon la
capacité de payer.
Afin de faire en sorte que les nations pauvres ne
devraient pas être contraintes de faire des sacrifices au prix de la durabilité
de leur propre développement.
Responsabilité collective et responsabilité
individuelle
Par ricochet, chaque individu des pays qui ont
profité du « progrès » par l'utilisation des énergies fossiles est aussi
responsable de partager les coûts et de revendiquer l'application de la justice
climatique.
Alors que les émissions canadiennes représentent
près de 15 tonnes de CO2 annuellement par habitant (8,6 tonnes pour les Québécois),
la moyenne des pays africains se situait à 0,7 tonnes. Le GIEC affirme que le
rétablissement du climat commanderait que chaque habitant n'émette pas plus de
2 tonnes par année.
Il est donc
évident qu'à l'aune des critères de la justice climatique, les Canadiens-ne-s
seront sollicité-e-s de façon particulière. Il faut se préparer à modifier nos
modes de vie de façon très importante. À moins de rejeter la pertinence de la
justice climatique et d'y substituer la loi du plus fort.
Yves Nantel
Février 2023